Les amateurs de basket français connaissent sa voix, entendue hier sur Canal, aujourd’hui sur SFR Sport, mais pas forcément son parcours. «Ça fait bizarre de parler de soi», sont les premiers mots de David Cozette lorsque débute l’entretien. Finalement, installé dans un café parisien, il déroulera son parcours pendant une heure. Celui d’un journaliste, celui, surtout, d’un passionné de basket.

 

Par Yann CASSEVILLE

 

Je suis né au Touquet, d’où est originaire toute ma famille, mais je n’ai jamais habité là-bas. J’ai passé mon enfance à Rouen. J’ai joué au basket, licencié à l’AS Mesnil-Esnard, dans la banlieue de Rouen. C’est marrant, j’ai vu le nom de mon club dans votre magazine, récemment, parce que Théo Maledon de l’INSEP vient de là. J’étais très, très mauvais. Je n’avais qu’une main. Je pourrais jouer avec une main dans le dos, ça ne me gênerait pas. Très naïvement, comme j’adorais le sport, j’ai dit à ma mère que je voulais faire sport-étude, j’ai passé les tests, mais quand j’ai vu qu’à 14 ans les autres dunkaient, j’ai compris que je n’avais absolument pas le niveau. Après, j’ai toujours voulu faire soit prof de sport, soit journaliste sportif, pour vivre de ma passion. C’est une chance incroyable de faire ce que l’on voulait faire quand on était gamin.

J’ai habité à Rouen jusqu’à mon bac, après j’ai passé un an aux États-Unis, à Chattanooga dans le Tennessee, dans la high school de Notre-Dame. J’ai essayé de faire partie de l’équipe de basket, là aussi j’ai tout de suite vu que je n’avais pas le niveau. En revanche, je l’avais pour l’équipe de soccer. C’était une aventure incroyable, on a été en finale de l’État, il y avait du monde dans les tribunes. C’était une année formidable, tellement différente de ce que j’avais vécu. C’était le Bible Belt, ils sont assez bigots, et quand tu t’enfonces en dehors de la ville, ils sont très racistes… À mon retour, j’ai fait une année de fac à Villetaneuse, en communication. J’ai passé le concours de l’IPJ (une école de journalisme), j’ai été accepté, j’ai fait deux ans là-bas. En parallèle, je bossais en presse écrite à Newsport (un magazine sur les sports américains). Je bossais aussi à Radio France Rouen pour des multiplex le week-end. En Normandie, c’était le basket et beaucoup le hockey-sur-glace.

Du hockey au basket

Daniel Pautrat, le patron d’Eurosport, était aussi prof à l’école et m’avait dit : «La version France d’Eurosport va se monter, je t’appellerai». Je suis sorti de l’IPJ à l’été 1991 et la version France d’Europsport s’est créée en janvier 1992, il m’a appelé, j’étais en CDD à France 3 Normandie. J’ai fait partie des tout premiers journalistes d’Eurosport version française. Pas grand-monde n’avait la chaîne, personne de ma famille ou mon entourage. À 21 ans, tu as l’insouciance ou l’immaturité qui fait que tu ne te rends pas compte de ce que tu es en train de vivre. J’étais venu pour commenter le hockey-sur-glace et je me suis retrouvé, dès la première année, à commenter les Jeux d’Albertville. C’était en cabine, au sous-sol des caves de Cognacq-Jay, mais quand même, c’étaient les JO, l’équipe de France. Et juste après, j’ai commenté, en cabine, les JO de Barcelone. Sur le coup, tu ne te rends pas compte : «Je commente la Dream Team, c’est sympa». On est une génération d’Eurosport qui a été chanceuse de se construire de cette façon, comme Frédéric Viard et Denis Brogniart, avec qui j’étais à l’IPJ.

Ensuite, je suis devenu le remplaçant de Bruno Poulain, qui commentait le basket français avec George (Eddy). C’est comme ça que je suis rentré petit à petit dans le basket, alors qu’au départ je faisais le hockey. J’ai d’ailleurs continué le hockey jusqu’en 1999. Quand tu as commenté du hockey, tu peux commenter n’importe quel sport d’équipe. Les mecs changent toutes les 45 secondes, ils sont 25, casqués, ça va à une vitesse folle… À l’été 1999, Pathé Sport, qui avait récupéré la Pro A, m’a appelé pour commenter et devenir rédacteur en chef. Trois ans plus tard, Pathé Sport a été racheté par Canal et s’est transformé en Sport+, et c’est comme ça que je suis rentré à Canal. Être rédacteur en chef, ça m’est tombé dessus, et en toute honnêteté je n’étais pas prêt. Manager des hommes, des équipes… En plus, dans nos métiers il y a pas mal d’egos. Quand tu as des journalistes qui font le même sport, tous sont intimement persuadés qu’ils sont meilleurs que les autres. Le management, ça me mettait pas mal de stress. Les responsabilités, c’est très valorisant, pas toujours épanouissant. On n’a qu’une vie. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux avoir l’inverse : plus épanouissant et moins valorisant ? Quand je dis moins valorisant, c’est que ça reste du basket. Je ne serai jamais une star de la télé en commentant du basket, mais je m’en fous, tant que je prends du plaisir au quotidien. Sinon, il y a vingt ans, j’aurais essayé comme d’autres de faire du foot pour être plus exposé.

Les années Canal

Canal, ça représentait quelque chose de fascinant. Tu arrives, tu vas faire un match et le réalisateur est Jean-Paul Jaud : un monstre, le mec qui a révolutionné le sport à la télé avec Charles Biétry. La première rencontre avec George Eddy, c’est pareil. Quand j’étais en première, terminale, on s’amusait à l’imiter : «Ouh là là, messieurs-dames !» Me retrouver à  commenter avec lui, c’est une sorte de rêve de gosse. Comme la première fois que j’ai pu parler et boire un verre, de manière amicale, naturelle, avec Richard Dacoury et Freddy Hufnagel, des mecs qui t’ont fait rêver quand tu étais gamin, qu’on regardait les matches d’Orthez et Limoges en coupe des Champions. Tu fréquentes tes idoles d’enfance et tu te sens vraiment privilégié, surtout quand tu as 25 balais. Aujourd’hui encore, j’ai toujours ce plaisir. On n’a plus les mêmes rapports, certains joueurs me vouvoient, ce qui me fout un coup dans la gueule.  Il y a même des mecs qui m’ont demandé de faire des photos pour leur famille. C’est le monde à l’envers !

Il y a des gens qui se saignent aux quatre veines, qui payent des fortunes pour aller voir des matches, moi je suis payé pour être au premier rang, avec le repas et les coups à boire qui suivent, tchatcher avec des gens qui font rêver tout le monde. C’est le job le plus extraordinaire de la terre ! Si je n’arrivais pas à aimer et faire partager ça, je serais le dernier des connards. Je suis content d’être là, à chaque fois. Au bout de plus de vingt ans, tu pourrais te dire le matin : «Ça me gonfle de prendre le train pour aller dans une petite ville de Pro A voir un match qui ne sera peut-être pas fantastique». Mais je n’ai jamais traîné les pieds, j’ai toujours été content. Sur place, j’ai un ou deux potes dans chaque équipe, dans l’entourage. Et dans l’équipe de production, on est ensemble depuis longtemps. Je ne le prends pas comme un boulot.

C’est avec Jacques (Monclar) et George (Eddy) que j’ai commenté le plus de matches. Le duo qui a le plus marqué les gens, c’est celui avec Jacques. Le fonctionnement était complètement différent selon le duo. Avec Jacques, on vivait quasiment tout ensemble. En déplacement, on dînait, on déjeunait, on allait au sauna de l’hôtel, faire notre shopping, boire des coups le soir, ensemble, toujours. Avec George, on prenait l’avion ensemble, et sur certaines compétitions on se retrouvait seulement pour le match. La journée, on n’était jamais ensemble. C’est quelqu’un de vraiment attaché à son indépendance, moi je suis plus dans la bande de potes. Avec Jacques, on était déjà ami avant de bosser ensemble, je n’avais pas le même rapport affectif avec George. Mais il y avait un énorme respect mutuel, et jamais une embrouille, alors qu’avec Jacques et son caractère volcanique, on a pu s’asticoter.

L’Équipe, un rêve de gosse

Tout s’est effrité à Canal en peu de temps. Avec les années, j’avais gagné en responsabilités, je dirigeais toute la direction omnisport, sauf tennis, rugby et F1. Avec l’arrivée de beIN, qui a pris les droits les uns après les autres, Canal a sécurisé foot et rugby et s’est dit : le reste, on s’en fout. Tous les droits de ma rédaction ont disparu. Après il y a eu la fermeture de Sport+, je me suis retrouvé à gérer juste le basket, ce qui me suffisait. Mais quand on a compris que le basket partait ailleurs, ça m’a mis un coup sur la tête. Je me suis dit : «Je ne veux pas être au placard, toucher mon salaire plutôt confortable et me faire chier». J’ai pris le risque, j’ai profité d’un plan de départ de Canal, avant de savoir où les droits allaient être dispatchés. Pendant l’été, j’ai appris que ça allait être sur Ma Chaîne Sport et quelques matches sur L’Équipe, et Fabrice Jouhaud (L’Équipe) m’a appelé.

À L’Équipe, je me suis éclaté comme un dingue. Pouvoir participer à «L’Equipe du soir», une institution, faire des super rencontres… Je ne pensais pas que certaines personnes me connaissaient. Un jour, Paul Le Guen débarque à la rédac, vient me saluer, aussitôt me branche sur Tony Parker pendant une demi-heure. L’un des trucs formidables, c’est d’avoir eu la chance d’écrire dans le jounal. Avant, j’avais écrit à Newsport et la locale de Paris-Normandie où je faisais l’inauguration avec le sous-prefêt, et là, me retrouver à écrire dans L’Équipe ! J’étais inondé de bonheur. La première fois, j’ai réécrit seize fois le papier, je pesais chaque mot. Le lendemain, j’ai dû me réveiller à 5h45 pour prendre le canard et dire : «Putain, c‘est trop cool !» J’en ai trois exemplaires (il rit). (Vraiment ?, l’interroge sa fille, présente durant l’entretien.) Bien sûr, à la cave. (Oh, tu as les larmes aux yeux, lui répond-elle, taquine.) Mais non ! Mais c’est un truc important. Après, ils m’ont aussi demandé d’aller couvrir un match de playoffs, Monaco-Villeurbanne. Autant avant le commentaire d’un match, je n’ai plus aucun tract, autant là, je suis arrivé à la salle 2h30 avant, toutes les dix minutes je faisais des essais pour voir si l’ordinateur fonctionnait. Match serré, je vois l’heure tourner, en conférence de presse les coaches mettent du temps à arriver, je deviens dingue… J’ai dû perdre deux kilos ce soir-là, mais j’ai rendu le papier à l’heure. Je pourrai dire à mes petits-enfants que j’ai connu tous les médias de référence du traitement de sport : j’ai été aux sports à Canal, j’ai écrit dans L’Équipe, et là SFR m’a demandé de présenter Basket Time sur RMC en avril.

Comment promouvoir la Pro A

Pour SFR, le basket français est important et ils y croient beaucoup. C’est un sport accessible qui est entre deux eaux : le plus fort des petits sports ou le moins fort des gros sports référencés. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir profité des synergies du groupe pour mettre un match par semaine sur Numéro 23. La télé est une question d’habitudes et ce sera seulement au bout de deux ans que les gens prendront le réflexe. Tu ne vas pas d’un coup exploser les compteurs juste parce que tu es sur la TNT. SFR se dit que si on reste avec notre noyau très dur de passionnés, on va finir par mourir, donc il faut réussir à intéresser le plus grand-monde, c’est le plus grand challenge. Si tu compares les époques, ce n’est pas évident. Dans les années 90, tu avais toute une génération de joueurs, Foirest, Risacher, qui n’étaient pas en NBA mais en Euroleague, donc plus proches de nous, et avant ils restaient plus longtemps dans le championnat de France. Plus ça va, plus c’est compliqué. Aujourd’hui, tu as aussi beaucoup d’Américains, dont certains, parfois, ne servent pas à grand-chose, juste à faire le nombre. Mais les anciens qui reviennent, ça fait des belles histoires, et les jeunes, comme Frank Ntilikina, c’est ton rôle de les mettre en valeur ; après, tu sais que tu vas les perdre. Avant, tu avais Rigaudeau, Delaney Rudd, c’était facile. Là, il faut plus se creuser pour mettre en valeur le championnat, être plus malin, pas pour inventer des histoires, mais pour savoir en raconter.

Le basket français souffre d’un phénomène de ringardisation provoqué par la NBA. Les gens qui ne connaissent rien, ils ont vu des highlights de NBA, jamais un match en entier, ils n’ont jamais vu Milwaukee-Philadelphie pendant 3h30 en saison régulière. Ils ne voient que des dunks, et les plus ignares doivent penser que ça dunke seulement en NBA. Après, pour le phénomène d’identification, par rapport au rugby, ça reste un sport joué par des grands blacks qui parlent anglais. Et quand tu as des coaches qui ne parlent qu’anglais aux temps-morts, c’est difficile pour les gens de s’identifier. Alors que quand tu as un coup de gueule d’un coach en français – récemment j’ai vu Pascal Donnadieu mettre une chasse à ces joueurs, un moment super fort –, ça change la perception que peut avoir le grand-public.

Les soirées au bout du monde

C’est difficile de ressortir le meilleur joueur en interview. Tu as des mecs qui vont faire un truc calibré mais sans aspérité, et d’autres avec qui parfois ça pourra partir en live et tu auras un vrai moment de télé. Fred Forte quand il était joueur, ou Aymeric Jeanneau, c’était le meneur très cérébral, mais tu n’avais pas d’envolée. Alors que Jean-Denys Choulet peut être capable sur la mi-temps d’un match d’Eurolegue de me clasher en me disant «Tu es coach, toi ?», ou de se prendre aux arbitres. Ce qui est important, c’est d’avoir de la variété, du moment que le mec parle.

Dans mes souvenirs de commentaires, il y a le tout premier match à Eurosport, j’avais 22 ans, c’était le Final Four de l’Euroleague 1992 avec la victoire du Partizan Belgrade, le shoot de Djordjević… En dehors de l’équipe de France, il y a la première défaite de l’équipe américaine version NBA au championnat du monde à Indianapolis en 2002. Sinon, France-Grèce 2005. J’en avais les larmes aux yeux. Quand Diamantídis met le shoot et qu’on m’entend dire «Oh non !», je ne suis plus à la télé, ce n’est plus du commentaire, je le vis comme tout le monde. Ça t’arrache le coeur. J’ai dû mettre une demi-heure, prostré, avant de m’en remettre. Et les deux France-Espagne en 2013 et 2014.

Grâce aux compétitions internationales, j’ai écumé l’Europe dans tous les sens, un peu en dehors aussi, par exemple au Japon. J’ai vu un milliard de trucs que je n’aurais jamais vu si je n’avais pas commenté. Et il y a tous les après-matches, des bringues un peu hors normes, des belles soirées dans des contextes pas possible… Et puis, faire les Jeux Olympiques. À Pékin, on pensait que ça allait être très fliqué, on a passé trois semaines formidables, tous les soirs dehors. Pour le Final Four 2007 à Moscou, on a fait des soirées monumentales en rentrant au petit matin. Des grands, grands souvenirs. Je me sens super chanceux.»

 

Article extrait du numéro 8 de Basket Le Mag  (mai 2017)