Champion avec l’ASVEL en 2016 puis All-Star avec Châlons-Reims, Edouard Choquet (1,88 m, 29 ans) est retourné en Pro B, à Fos Provence Basket, où il avait déjà passé quatre saisons. Membre du comité directeur du Syndicat National des Basketteurs, il a des choses à dire.

 

Propos recueillis par Yann CASSEVILLE

 

Vous êtes né à Limoges. Vous avez grandi dans la chaleur de Beaublanc ?
Complètement ! Mon père était très impliqué au CSP à l’époque, mon frère y a joué jusqu’en espoir, il a même fait quelques matches sur le banc des pros. J’étais le petit dernier, je suivais tout le monde. Très tôt, ça m’a plu. Quand j’avais 10-15 ans, c’étaient encore les belles années du club, avec des coupes d’Europe, le triplé en 2000, des moments exceptionnels. Quand tu grandis dans cette ambiance, après c’est dans ton ADN.

Quel match vous a le plus marqué ?
Le match aller de la finale de la coupe Korać en 2000 contre Malaga. Beaublanc était blindé de chez blindé. Comme j’étais là à tous les matches, tout le monde me connaissait, donc je me mettais un peu où je voulais. Mais là, je n’ai pas trouvé une seule place assise, j’ai regardé le match en galère contre une barrière. Limoges a gagné, Marcus Brown avait mis 30 ou 31 points.

Votre métier rêvé était tout trouvé : basketteur au CSP ?
J’ai grandi en disant que je voulais devenir basketteur, c’est sûr, mais le CSP était presque ce qui se faisait de mieux dans le basket français, donc c’était plus un rêve qu’un objectif. Et au moment où je commençais à y croire, c’est là que le club a eu des soucis financiers, est redescendu en N1. Ensuite, le CSP était dans une optique de remonter à tout prix, n’avait pas forcément envie de s’appuyer sur la formation parce qu’il était plus dans le court terme. Donc, je suis parti à 16-17 ans pour aller à Bordeaux. Sur le papier, c’était bizarre de quitter le CSP pour aller aux JSA. Mais ça a été payant, je me suis retrouvé à jouer en N1 à 18-19 ans.

Ensuite, vous êtes arrivé au Portel. Quels souvenirs gardez-vous de vos quatre saisons là-bas ?
Des souvenirs incroyables. Sur le plan sportif, c’était bien, on a progressé chaque année. Et au-delà, l’engouement autour du club est quelque chose d’incroyable, vraiment. Quand tu marches dans les rues du Portel, il n’y a pas une personne qui n’est pas à fond derrière l’équipe. Le basket, c’est toute leur vie, ils ne pensent qu’au match du week-end. On parle souvent de sixième homme et c’est un peu cliché, mais là-bas, c’est une force réelle. Bien sûr que le basket doit se développer par les grandes villes, mais c’est beau de se dire que des petits patelins peuvent encore avoir leur place à haut niveau.

Vous avez ensuite passé quatre ans à Fos, club que vous avez retrouvé cet été. Pourquoi cette fidélité ?
Il y a beaucoup d’ingrédients. Fos a été un tremplin pour moi. En signant là-bas à 23 ans, le coach (Rémi Giutta) m’a dit : “Je veux faire de toi un meneur titulaire en Pro B”. J’ai réussi à m’imposer comme joueur important de Pro B, ce qui m’a amené ensuite en Pro A. Et il y a cette relation avec l’entraîneur. Il m’a fait confiance et il m’a refait confiance en me signant cette année. J’apprécie sa façon de coacher, le jeu qu’il veut développer. Après, il y a le fait que ma famille se sente bien ici, et quand on approche des 30 ans, c’est une donnée importante.

Comment s’est faite la transition en 2015 : de Fos à l’ASVEL, de Pro B à Pro A et de 36 à 13 minutes de moyenne ?
Le plus gros challenge a été de passer de joueur majeur à role player. Même si je savais que j’allais être back-up, c’était une démarche psychologique complètement différente. Ça a été compliqué au début mais au final, je n’en ai que des bons souvenirs, surtout vu la façon dont ça s’est terminé.

Dans la finale contre Strasbourg, de 0-2 à 3-2, comment expliquer ce retournement de situation ?
Même à 0-2, on savait que si on prenait le match 3, tout était relancé. On le gagne avec rage, et quand on gagne le match 4, ça peut paraître fou, mais j’étais quasiment sûr qu’on allait gagner la finale. On avait tellement inversé la psychologie autour de la série. Alors qu’eux, en arrivant à Lyon, avaient déjà préparé la soirée pour fêter le titre, ce qui nous avait remontés. Après le match 4, se dire qu’on avait gâché tout ça, qu’on les ramenait chez eux, qu’ils reprenaient toute la pression, avec les finales perdues d’affilée… On était très confiant sur le fait qu’on allait gagner.

Vous tourniez la saison passée à 8,1 d’évaluation en 21 minutes avec Châlons-Reims. C’est surprenant de ne plus vous voir en Pro A aujourd’hui.
De plus en plus, des équipes ont deux meneurs américans. Des meneurs français de Pro A qui ont un temps de jeu intéressant, il n’y en a pas des masses : Antoine Eïto, Jonathan Rousselle, David Michineau, Axel Julien… J’en oublie peut-être mais il n’y en a pas dix, donc ça fait moins d’un club sur deux qui a un meneur français qui joue. Je n’ai eu aucune offre réelle. Je n’ai pas poussé plus que ça puisque j’attendais une offre du CCRB, et une fois que ça s’est mal fini, j’ai eu le contact avec Fos et j’ai signé rapidement. J’ai eu un contact clair et établi avec Limoges, mais c’était plus dans l’optique d’être un troisième meneur, puisqu’ils allaient prendre un meneur, un meneur-arrière et un meneur français. Je ne savais pas trop ce que ça allait donner en termes de temps de jeu. Je ne voulais pas signer en Pro A pour être troisième meneur et jouer trois minutes.

Vous n’hésitez pas à vous exprimer sur le sujet des JFL, la place des jeunes, différents thèmes concernant le basket français. Vous avez toujours été sensible à ces débats ou c’est la situation actuelle qui vous pousse à parler ?
Un peu des deux. On a la chance de faire du basket professionnel en France, dans des situations avantageuses, donc c’est aussi à nous de rendre les choses, de s’intéresser à ce qu’il se passe. Ce sur quoi je suis le plus inquiet – au-delà de ma situation parce que je suis bien avancé dans ma carrière -, c’est l’avenir des jeunes Français qui vont se retrouver sans place dans les clubs. Parce que les clubs ne mettent que très peu de jeunes sur le terrain ou alors des prospects qui peuvent potentiellement aller en NBA et les clubs ont un intérêt financier. Aujourd’hui, une équipe peut vivre sans faire jouer ses Français et sans faire de tremplin entre son centre de formation et son équipe pro. Je trouve ça incroyable. On se plaint qu’on a moins de moyens, bien sûr, mais le meilleur moyen de faire des économies reste de former des joueurs et de les mettre sur le terrain. La saison dernière, Alexandre Karolak, qui sortait des espoirs du CCRB, a prouvé des belles choses sur la fin de saison, il avait un temps de jeu conséquent. Cette saison, il a joué trois minutes en six matches. Pour un club qui n’a pas forcément de moyens, c’est dommage de ne pas miser sur des jeunes comme ça. Je ne dis pas de leur donner 40 minutes, mais un petit rôle, les faire grandir.

On entend souvent qu’un président de club est rassuré quand il embauche un joueur américain. C’est le cas ?
C’est une vérité. Je pense que c’est culturel. Les Américains ont plus de talent, ils ont un vivier plus important, bien sûr, mais je suis persuadé qu’à niveau et salaire égaux, un président ou dirigeant prendra un Américain parce que ça le rassure. Le règlement n’oblige aucun club en Pro A à prendre six étrangers. Les clubs le font parce qu’ils le veulent, ce n’est pas la Commission européenne qui leur impose. À la limite, qu’on dise qu’en Pro A, on veut faire du business, du spectacle, pourquoi pas. Mais avoir trois étrangers en N1, quatre en Pro B, pour moi c’est une aberration. Le but n’est pas de se protéger en temps que joueurs, mais de protéger notre basket en général. Il y a plein d’à-côtés : les gens ont du mal à s’identifier à une équipe, il y a tous les ans un turnover important dans les clubs… Quand j’ai grandi, c’étaient les derbies Pau-Limoges, Fauthoux, Gadou contre Dacoury, Bonato, ça se détestait et c’était beau. Ça n’existe plus. Ce n’est pas pour faire le vieux con que je dis ça, mais notre identité de basket français doit passer par là : former des joueurs, les faire jouer, qu’ils deviennent des icônes pour les villes. Bien sûr que les étrangers apportent du talent, mais ce n’est pas eux qui vont discuter aux soirées VIP. J’ai vécu des soirées partenaires où on mettait un étranger à une table de partenaires, et comme les partenaires ne parlaient pas anglais, que le joueur n’était pas à l’aise en français, il n’y avait aucun échange.

Certains Français ont refusé des contrats, d’autres demandent des salaires élevés. Dans un basket mondialisé et concurrentiel, ne faut-il pas changer de mentalité ?
Un étranger de mon équipe m’a dit : “Vous les joueurs français, vous avez un bon niveau, mais vous êtes tellement dans une démarche d’être des joueurs de second plan que vous n’êtes pas assez agressifs, volontaires, vous n’avez pas la mentalité américaine”. C’est aussi à nous d’avoir faim comme les Américains ont faim dans le business. Souvent, on prend moins de responsabilités donc on a envie de moins nous en donner, c’est un cercle vicieux. Si on veut ouvrir les frontières, mondialiser le basket, au-delà de notre talent et notre formation, il faut aussi que dans nos mentalités on évolue et qu’on soit plus des tueurs. Après, c’est vrai que – malheureusement ou heureusement, il y a deux façons de voir les choses -, on est bien protégé et parfois des joueurs qui ont signé des énormes contrats et se retrouvent sans emploi ont la chance d’avoir un salaire payé par l’État qui fait qu’ils peuvent se permettre de dire : je refuse telle offre parce que je gagne plus d’argent. Il ne faut pas se cacher, ça existe. Ce n’est pas du tout la majorité des cas, mais ce sont les cas qui font le plus parler. Derrière on dit que les Français sont trop chers, c’est une caricature. Je n’ai pas un salaire mirobolant et je ne demandais pas plus d’argent au CCRB pour rester en Pro A.

Article extrait du numéro 14 de Basket Le Mag  (décembre 2017)