À 19 ans, sans avoir dominé en Pro A, Frank Ntilikina (1,98 m) tient aujourd’hui la mène de New York, observé de près avec son statut de numéro 8 de la draft. Déjà adopté par certains fans, critiqué par d’autres, sujet récurrent des médias, en poster géant sur un building de la ville, à Times Square, dans le métro, au cœur d’une rumeur de transfert après seulement huit minutes de jeu… Des débuts fous, typiques de la frénésie entourant les Knicks.

Par Yann CASSEVILLE

Souvenez-vous. C’était le 15 octobre 2016. Strasbourg battait Le Portel 75-71 pour le compte de la quatrième journée du championnat de France. Ça ne vous revient pas ? Les meilleurs marqueurs de la SIG se nommaient Pape Sy, Mam Jaiteh et Erving Walker, 14 unités chacun. Toujours rien, vraiment ? Rassurez-vous, c’est normal. Ce n’était qu’un match lambda de Pro A, non télévisé, et donc vu par environ 5 000 personnes au Rhenus. Ce soir-là, Frank Ntilikina, un gamin, avait joué 7 minutes, pour 2 points et 2 d’évaluation. Dans l’anonymat. Une année passe. 19 octobre 2017. Ce soir-là, Ntilikina, un an plus vieux, malgré tout encore gamin, dans son premier match NBA, joue 8 minutes, pour 0 point et -2 d’évaluation. Ils sont 18 000 spectateurs assistant à la rencontre Thunder-Knicks à la Chesapeake Energy Arena d’Oklahoma City et 2,3 millions de téléspectateurs sur TNT. En comparaison avec les 5 000 âmes du Rhenus, cela représente une audience multipliée par plus de 460.

Quelques jours plus tard, sur un building de vingt-cinq étages de la 8e avenue, proche du Madison Square Garden, s’affiche un portrait géant de Ntilikina, égérie de la nouvelle campagne publicitaire de Nike, lui qui jusque-là s’était simplement vu sur un abribus de Strasbourg. «Frank n’était pas au courant, Nike a voulu garder le secret le plus longtemps possible. Quand c’est sorti, ça a fait énormément de bruit. Et il n’y a pas que ce building, la photo était aussi sur les marches du métro new-yorkais, et circulait en écran géant sur tous les murs de Times Square en simultané, c’était stupéfiant», raconte Olivier Mazet, l’agent du joueur.

Peu après, New York accueille Cleveland, la chaîne MSG Network est en effervescence. «À chaque fois que LeBron James et Dwyane Wade viennent en ville, c’est vraiment cool», commence le commentateur. «Alors quand vous ajoutez une dose de piquant…» Ce piment, ce sont les critiques de LeBron James, le joueur le plus dominant au monde de la décennie, au sujet de la draft des Knicks, et donc, par ricochet, de Ntilikina. La retransmission commence par un débat concernant le Français, commenté par l’une des légendes locales, Walt Frazier.

En signant aux Knicks, franchise mythique, à New York, l’une des plus grandes mégalopoles de la planète, Frank Ntilikina a comme changé de monde. De l’anonymat à la démesure. Une situation hallucinante pour qui tournait à 5,2 points et 1,4 passe en 18 minutes en Pro A la saison passée. Il avait certes gagné ses galons de titulaire à Strasbourg à partir de février, fait montre d’un certain potentiel, pas cassé la baraque pour autant. «On ne l’aura jamais vu vraiment dominant en Pro A», confirme Vincent Collet, l’entraîneur de la SIG. «J’aurais aimé voir ce qu’il pouvait faire la saison suivante. Il aurait pu montrer des signes de domination. Ça me paraissait être une étape, à l’image de ce que fait Luka Dončić qui, lui, le fait même en Euroleague. Je trouve ça plus cohérent. En NBA, il y a un peu de démesure, ils ne laissent pas le temps au temps, ils fonctionnent comme ça, ils draftent des potentiels.»

Il divise les fans

Dans ses premiers moments new-yorkais, Ntilikina a dû satisfaire à différentes démarches administratives (visa, sécurité sociale…), facilitées par la présence dans le New Jersey du collègue américain d’Olivier Mazet, Richie Felder, de l’agence CAA, deuxième plus puissante en NBA, totalisant près de 400 M$ de salaires cette saison (Tony Parker, Chris Paul, Carmelo Anthony…). «Entre sa maman, mon collègue américain, moi qui viens une fois par mois, son frère qui est venu en septembre, tout le monde essaie d’instaurer une présence autour de Frank, son entourage est très présent», commente Mazet, rappelant qu’aussi mûr soit-il, Ntilikina reste un jeune homme de 19 ans, qui découvre la vie en solitaire. Il a opté pour un logement dans un complexe résidentiel où vivent plusieurs joueurs des Knicks, à cinquante minutes de Manhattan mais près du centre d’entraînement.

Le Français n’était pas forcément le bienvenu dans la grosse pomme. Les fans rêvaient meilleure pêche avec le 8e choix de draft qu’un Frenchy inconnu. «La première réaction des fans à sa draft était assez négative. Personnellement, j’étais déboussolée. J’ai pensé que Phil Jackson, une fois encore, avait choisi un prospect européen, qui prendrait plusieurs années pour se développer, et j’étais déçue. Je voulais que nous draftions Malik Monk, et sinon Dennis Smith Jr.», reconnaît Konstantine, une supportrice des Knicks. «Dennis Smith Jr. était le choix évident, c’est sûr qu’il sera une star NBA alors que Frank, un projet à long terme, pourrait être bon un jour, ou pas. Il n’est pas athlétique, ne peut pas tirer, est fragile physiquement. C’est une erreur énorme et impardonnable de l’avoir choisi quand un candidat évident au titre de rookie de l’année était disponible», s’insurge Lance, autre fan. Un troisième supporter, Kevin, fait contre-poids : «Beaucoup de fans des Knicks sont déchirés au sujet de Frank. Beaucoup voulaient Dennis Smith Jr. parce qu’il est capable de dunks flashys, et puis les gens ont vu de nombreux rookies étrangers devenir des flops et redoutent que Frank en soit un. Mais l’autre moitié est très optimiste, comme moi. J’étais très excité par le potentiel et la défense de Frank, je pense qu’il deviendra une star.» Selon Konstantine, «il est déjà en train de changer l’opinion de nombreux fans».

L’ombre d’un 8, sa position à la draft, reste accrochée à Ntilikina (5,8 points et 3,3 passes en 20 minutes) alors que le meneur dunkeur Dennis Smith Jr., 9e choix par Dallas (14,4 points et 4 passes en 28 minutes), l’arrière shooteur Malik Monk, 11e choix par Charlotte (6,5 points en 16 minutes) et l’arrière pétaradant Donovan Mitchell, 13e choix par Utah (17,3 points en 29 minutes), ont été appelés après lui. «Dennis Smith Jr. devrait être aux Knicks. Dallas a récupéré un dimant brut», lança LeBron James pour se payer Phil Jackson. «Les gens suivent les rookies que les Knicks auraient pu avoir à la place de Ntilikina. Monk, Mitchell, Smith Jr. ont eu de bons moments dès le début de saison, mais vous ne pouvez pas juger la draft sur cinq, dix ou quinze matches», nous rappelle Al Iannazzone, qui couvre les Knicks pour le journal Newsday.

Nul ne sait véritablement ce que peut devenir Ntilikina, deuxième joueur le plus jeune de NBA. Au moment de classer les débutants, ESPN, d’une formule alambiquée, a fait de lui le rookie le plus à même d’atteindre le niveau All-Star (14% de chances) mais aussi de terminer en flop (59%) ! Un paradoxe, comme un témoin de l’incapacité des observateurs américains à décrypter le Frenchy. «Les scouts NBA font de vraies enquêtes de personnalité, ils sont venus voir Frank toute la saison dernière à Strasbourg. Ce n’est pas ce qu’ils voyaient que les Knicks ont sélectionné, c’est ce qu’ils espèrent que Frank puisse devenir. Ils ont un savoir-faire qu’il faut reconnaître. Mais ce n’est pas corrélé à la réalité, ce sont des hypothèses de développement. Ils mettent banco de suite, sans vraiment savoir ce que ça peut donner», analyse Vincent Collet…

Article extrait de Basket Le Mag. Actuellement en kiosque: numéro 14, Décembre 2017

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