Grégoire Margotton commente l’équipe de France de football sur TF1. Sa voix a aussi été entendue dans le handball (phase finale du Mondial 2017 sur TF1)… et dans le basket, sur Canal, dans les années 1990. Le basket, «c’est mon sport», dit-il.

Propos recueillis par Yann CASSEVILLE

 

Qu’est-ce que le basket évoque pour vous ?

Mon enfance, déjà. C’est le seul sport que j’ai pratiqué en club. J’ai un frère aîné, qui était très foot, je jouais au foot en bas de la tour d’immeuble, mais jamais en club. J’ai commencé le basket à l’école primaire. Ensuite, de la 6e à la 3e, j’étais à la CRO Lyon. L’autre club, comme on l’appelait, il y avait l’ASVEL et la CRO. J’habitais à la Croix-Rousse, le club était à même pas un kilomètre de chez moi. J’ai joué benjamin, minime. Là, le ballon devenant celui des adultes, les pivots commençant à mesurer 1,95 m et moi faisant tout mouillé 1,70 m, ça devenait compliqué, et il y avait les études. Donc, j’ai arrêté. J’ai joué une finale de championnat du Rhône, perdue contre l’ASVEL, Alain Gilles avait remis la coupe… (Il sourit) Voilà, c’est mon sport.

Vous avez une sensibilité particulière pour l’ASVEL ?

Carrément ! Autant en foot, même si je ne commente plus que l’équipe de France, je m’interdis d’avoir une sensibilité, et d’ailleurs, même si je suis né à Lyon, je n’en ai pas vraiment. En basket, ma madeleine de Proust, c’est l’ASVEL de Delaney Rudd, Greg Beugnot, Brian Howard, Alain Digbeu… J’ai fait  plein de sujets avec eux. Ils ont joué un jour en prison, j’étais avec eux, j’avais fait un documentaire. J’étais très proche de Greg Beugnot, de Jacques Monclar ensuite. Ces mecs, je les aimerai toujours. Et pour moi, Jacques Monclar est le meilleur consultant de sport de l’histoire de la télévision. Il commenterait du foot, il serait magnifique. Il commente du basket, il est parfait. C’est l’un des rares consultants «transversaux». Il s’intéresse à tous les sports, à d’autres parcours de sportifs, ce qui lui permet d’avoir une vision plus large. Les consultants de foot ne sortent pas beaucoup du foot. Jacques, il sort du basket, et ça nourrit son esprit, c’est pour ça qu’il est plus riche.

À Canal, vous avec commenté le basket puis le foot ?

Quand je suis arrivé à Canal en 1992, le basket aurait très bien pu être le sport que j’aurais commenté sur la durée, et pas le foot. Mais il était déjà très bien commenté par Éric Besnard et George Eddy, puis sont venus d’autres comme Bruno Poulain, David Cozette. J’ai pris les miettes, mais de magnifiques miettes, pendant cinq-six années. J’ai eu la chance de commenter le tournoi olympique 1996 avec George Eddy, parce qu’Éric Besnard faisait d’autres sports. C’était la deuxième Dream Team, je l’ai suivie d’autant plus près que j’avais fait tout son tournoi de préparation aux États-Unis dans le mois qui précédait les JO. J’étais allé à Salt Lake City, Indianapolis, San Antonio, Detroit, Cleveland… Je ne suis jamais allé à New York et Los Angeles, mais toutes les villes au milieu, je connais ! (Il rit) J’ai aussi commenté un All-Star Game à San Antonio, avec Michael Jordan, de l’Euroleague, avec des matches du CSKA Moscou, bien sûr de la Pro A, je me souviens d’une finale Antibes-Pau, avec Michel Gomez, Jacques Monclar… Petit à petit, le foot a pris plus d’importance et je me suis éloigné du basket.

Pour avoir goûté à la Pro A et la NBA, vous appréciez les deux ?

Aujourd’hui, j’avoue, je suis moins le basket FIBA. Mon fils a 16 ans, il joue à NBA 2K trois heures par jour, il m’a remis dans la NBA depuis deux-trois ans. Mais ça se complète. C’est comme en foot quand on commente Ligue 1 et Ligue des Champions. J’ai presque envie de dire que ce n’est pas le même sport, pas la même vitesse, la même intensité, les mêmes règles, mais les deux me plaisent. Je suis un fan absolu de l’équipe de Yougoslavie des années 1980-début 1990, celle qui est morte avant d’avoir tout gagné. Ce jeu-là m’intéresse tout autant si ce n’est plus qu’une belle équipe NBA. Une équipe NBA qui ne fonctionne que sur du un-contre-un, OK, cinq minutes, mais ce n’est pas ce que je recherche, je préfère quelque chose de plus élaboré : un système, du jeu collectif, de l’intelligence, des profils clairs, quand les talents s’additionnent. On voit ça dans certaines équipes en NBA aussi.

Yougoslavie époque Divac-Petrović, une équipe qui a marqué Grégoire Margotton.

Vous avez commenté le basket quand il se rêvait en «sport de l’an 2000». Depuis le rugby l’a largement dépassé et le handball le concurrence sérieusement. Quel est votre diagnostic ?

J’étais jeune commentateur à l’époque, donc je n’étais pas dans les deals que pouvaient faire les diffuseurs avec la ligue, la fédé. Il n’empêche, je pense qu’il y a pas mal de trains qui ont été loupés. La compétition en elle-même n’est peut-être pas assez lisible pour les gens, pas assez télégénique en termes de feuilleton. Mais je me souviens d’une époque où il y avait quand même au moins un match de Pro A par semaine sur Canal. Je ne sais pourquoi le basket n’a pas explosé. Est-ce que dans un sport collectif hors football, il faut le soutien d’une grande équipe de France ? Dans les années 1990, on était loin. Il y eu deux trains de loupés : après la victoire de Limoges en 1993 et après Sydney 2000. Est-ce la faute des diffuseurs ? Je ne suis pas sûr. Est-ce qu’il y avait les bons dirigeants aux bonnes places dans le basket ? Je ne suis pas sûr non plus. Il y a un truc qui a été raté, que le rugby a pu prendre, que le handball ravive régulièrement, presque uniquement – il ne faut pas se cacher – grâce à l’équipe de France. Le championnat de France de hand est sur beIN, je ne suis pas sûr que ça fasse des audiences monstrueuses. La Pro A, on peut la voir aussi sur des chaînes payantes.

Concernant l’équipe de France, la génération Parker a gagné l’Euro 2013, plusieurs médailles. Le fait qu’elle soit marquée NBA éloigne du grand public ?

C’est loin la NBA. Elle intéresse de plus en plus de gens, de jeunes, mais c’est loin quand même. Si Parker avait joué à l’ASVEL, Boris Diaw à Pau, le retentissement de leurs performances internationales aurait pu se répercuter sur la Pro A, l’appétit des gens d’aller voir régulièrement des matches, l’appétit des diffuseurs. Il y a aussi le diffuseur de l’équipe de France. Quand on n’est que sur Canal+ et sur beIN, il manque quelque chose. Franchement, je suis tombé dans un autre monde quand j’ai commenté le handball sur TF1. On est passé d’un coup d’une audience de 600 000-700 000 personnes sur beIN, pour l’équipe de France, à 9 millions. Et là, ce n’est pas pareil. Certes, c’est la moitié du foot, mais c’est monstrueux. Je ne suis pas sûr que le basket français, à aucun moment de son histoire, ait été exposé comme ça, ou rarement. Oui, le grand public connaît Tony Parker, ceux qui suivent un peu savent que c’est peut-être l’un des deux-trois plus grands champions de l’histoire du sport français, mais ça reste un peu inatteignable, dans un brouillard, ce n’est pas très palpable pour les gens. Je suis le premier triste, parce que pour moi, le basket est le plus beau sport à regarder à la télévision. C’est le seul sport autant dans la verticalité et l’horizontalité, avec des joueurs de 1,80 m à 2,30 m, tout le monde a sa chance. Je suis très subjectif sur le basket, et donc très triste que ce ne soit pas le sport numéro 1 dans le monde avec le foot. Le monde entier joue au basket, ce qui n’est pas le cas du rugby, du handball, mais en France, on a manqué quelque chose. On n’a pas pu acquérir la culture basket comme on a pu acquérir une culture ou en tout cas une envie de hand et de foot depuis 25-30 ans.

Ce retard peut-il se rattraper ?

Oui. Il va falloir des locomotives, des vraies, que des projets dans les clubs, comme celui de Tony Parker, aboutissent à des équipes qui joueront régulièrement l’Euroleague pour aller au Final Four. Que l’on continue à former des gamins qui restent un ou deux ans avant d’aller en NBA. Qu’il y ait des jeunes Français en Pro A auxquels les gamins puissent s’identifier. Notre ami des Knicks (Frank Ntilikina), pour les gamins, il joue aux Knicks, il ne joue plus à Strasbourg, c’est fini. Il va falloir que l’équipe de France… Pour tout vous dire, à TF1, on essaie si on peut de récupérer des tournois avec l’équipe de France. On essaie. Des Euros, des Mondiaux appartiennent à des diffuseurs payants qui peuvent rétrocéder quarts, demis ou finales à une chaîne gratuite, et il n’est pas impossible que dans l’avenir proche, on retrouve les Bleus sur TF1. Et là, connaissant la puissance de TF1, il va y avoir un gros, gros coup de projecteur. C’est un gros coup de boost. Mais sur la durée, il faut qu’il y ait un, deux, trois clubs français capables d’aller jouer les premiers rôles en Europe.

Canal possède les droits des compétitions FIBA jusqu’en 2021, avec diffusion publique à partir des demi-finales pour le groupe M6

C’est déjà une vraie exposition. Mais je pense qu’un jour, si on peut le faire, on le fera sur TF1.

Vous commentez le sport depuis vingt-cinq ans. Qu’est-ce qui a changé ?

La culture des gens. C’est vingt-cinq ans de mecs qui ont regardé Canal, beIN, qui savent lire une feuille de stats, ce qui n’était pas le cas avant. Le commentateur n’est pas obligé d’être autant didactique, de décrire tout ce qu’il voit comme à l’époque – sur TF1 on le ferait, mais pas sur des chaînes spécialisées, où ceux qui regardent en connaissent plus que le commentateur. Le jeu n’a pas fondamentalement changé, les Warriors d’aujourd’hui, ça ne va pas beaucoup plus vite que les Bulls de Jordan. Le foot a beaucoup plus changé de vitesse que le basket. Autre chose, on faisait plus voyager les gens à l’époque. Quand j’écoutais George Eddy à 2h du matin et qu’il me parlait du micro-onde Vinnie Johnson, du duel Magic-Bird, c’était une autre planète, on avait l’impression qu’il nous retransmettait un truc depuis Mars. Un Lakers-Celtics des années 1980, pour nous, c’était un match entre Vénus et Mars, on le voyait en VHS trois semaines après. Aujourd’hui, les gamins qui voient Golden State-Cleveland, c’est comme s’ils voyaient Pau-Limoges. Le monde est devenu tout petit. Il y a un peu de rêve qui a été perdu ou qui a évolué, mais c’est fondamentalement la même chose.

Article extrait du numéro 14 de Basket Le Mag  (décembre 2017)