Il veut connaître trois langues étrangères avant ses 25 ans, apprend le piano, est le roi des échecs, a tourné le dos à toutes les facs les plus victorieuses des États-Unis pour aller dans l’une des meilleures universités au monde d’un point de vue scolaire. Si bien que Jaylen Brown (2,01 m, 21 ans), le très prometteur ailier des Boston Celtics, a souvent été décrit comme «trop intelligent» pour la NBA !

 

Par Clément PERNIN

 

La scène est visible sur YouTube. Le 1er mars, Jaylen Brown, invité par la prestigieuse université d’Harvard, est venu évoquer devant l’auditoire son parcours personnel, sa vision de l’Amérique, l’influence du sport dans l’éducation, le racisme… Il a parlé de stratification sociale, développé les concepts de philosophes, d’artistes. Il a commencé par un discours de vingt minutes, suivi d’une série de questions-réponses, pour une discussion d’1h30 au final. Une discussion passionnante. Brown avait notamment un message à  faire passer. «On me dit souvent : tu t’identifies comme un sportif ou un intellectuel ? Je déteste cette dichotomie, le fait que ça doit être l’un ou l’autre et qu’il n’y a pas la possibilité que ce soit les deux. Dans ma réalité, ça l’est.»

Parce que le milieu sportif évolue en vase-clos, avec des jeunes hommes qui parfois n’ont aucun sujet de discussion en dehors du ballon, Brown l’érudit, le curieux, détonne. Avant la draft 2016, un dirigeant NBA déclarait au site The Undefeated : «Parce qu’il est si intelligent, il pourrait être intimidant pour certaines équipes. Il veut savoir pourquoi faire ça plutôt que simplement le faire. C’est une forme de questionnement de l’autorité. Les coaches à l’ancienne ne veulent pas que les gars se posent des questions.» Deux ans plus tard, cette réputation absurde de joueur «trop intelligent» continue de lui coller à la peau. En février dernier, un journaliste lui demanda s’il était d’accord pour dire qu’il ne rentre pas dans le «soi-disant moule d’un basketteur». Réponse de Brown : «Qu’est-ce que le soi-disant moule d’un basketteur ? Je défie quiconque souscrivant à cette idéologie de venir me dire ce que c’est.»

 

 

Après l’espagnol, il apprend l’arabe

Pour ce qui est de la draft en tout cas, il n’est pas rentré dans la case du prospect classique. Il s’est présenté… sans agent ! Il en a bien auditionné cinq, respectés dans le milieu, mais plutôt que d’un agent à plein temps il a préféré s’entourer d’un cercle de conseillers divers. Parmi eux, des noms connus (Isiah Thomas, Shareef Abdur-Rahim), d’autres moins : des professeurs agrégés, des doctorants… Avant de rentrer en NBA, Brown avait déjà rencontré Adam Silver, le patron de la ligue, Michele Roberts, la directrice du Syndicat des joueurs, d’autres pontes encore, et pris le temps d’assimiler comment cette gigantesque industrie fonctionne. Lors de rencontres avec des équipes avant la draft, au contraire de beaucoup de jeunes talents, il s’est présenté en costume-cravate, avec un carnet et un stylo pour prendre des notes. «Quand vous allez à un rendez-vous business, qu’est-ce que vous portez ?»

Parmi les centres d’intérêt de Jaylen Brown, l’histoire, la méditation, les échecs, le piano, le soccer, les langues. Avant d’aller à l’Eurocamp de Trévise en 2014, il a fait l’effort d’apprendre des notions d’italien, afin de pouvoir discuter avec les arbitres. Durant sa seule saison à l’université, il s’est mis à l’espagnol et à la fin de l’année pouvait tenir une interview dans la langue de Cervantes. Dernièrement, il s’est mis à l’alphabet arabe.

 

Il a choisi l’école plutôt que les victoires

Si le père, boxeur professionnel de 2,13 m, avait beaucoup à lui transmettre dans les muscles, la mère, titulaire d’un doctorat, insiste depuis la naissance de son fils sur un seul mot : éducation. Membre de la sélection américaine U18, considéré comme l’un des cinq meilleurs basketteurs du pays au lycée, Brown aurait pu aller dans n’importe quelle fac. Après avoir utilisé les cinq visites offertes par la NCAA, il a payé de sa poche un déplacement à l’université de Californie, à Berkeley. L’équipe de basket n’avait pas atteint le Final Four depuis 1960, mais en termes académiques, l’institution est l’une des meilleures universités au monde. Et c’est ce que Brown cherchait : l’éducation.

À Berkeley, il a voulu s’inscrire à un cours pour étudiants titulaires d’une licence et préparant un master. C’était la première fois que l’enseignant voyait débarquer un élève première année. Il a refusé, mais Brown a insisté, encore et encore, jusqu’à intégrer la classe. Il s’en est bien tiré, et a terminé par une synthèse de vingt-trois pages, écrites au cœur de l’année scolaire, entre les entraînements : comment le sport institutionnalisé impacte le système scolaire éducatif américain.

Son cheval de bataille, le combat contre l’inégalité des chances, selon son origine sociale, sa couleur de peau. À l’heure où une journaliste de Fox News a intimé aux stars NBA de «la fermer et dribbler» après avoir entendu LeBron James et Kevin Durant critiquer le président Donald Trump, Jaylen Brown estime que les athlètes, s’ils sont suffisamment armés sur un sujet, n’ont aucune raison de l’éviter. Dans un long entretien accordé au Guardian, il a notamment abordé la question du racisme. «J’ai bien plus d’opportunités que je n’en aurais eues il y a cinquante ans, donc certains pensent que le racisme s’est dissipé ou n’existe plus. Mais il existe encore. Il faut une personne comme Colin Kapernick (footballeur américain qui a posé le genou à terre durant l’hymne national) pour forcer les changements, parce que souvent les journalistes et les fans disent : si tu es un athlète, je ne veux pas que tu dises quoi que ce soit, tu devrais être heureux de gagner telle somme d’argent en faisant du sport.»

Dans ce même entretien, Brown a déclaré que l’université lui manquait énormément. «Je suis dans un bon environnement à Boston mais à la fac, j’apprenais quelque chose de nouveau chaque jour.» Lors de son intervention à Harvard, un spectateur lui a d’ailleurs demandé pourquoi, s’il aimait tant l’école, l’avoir quittée après un an afin de rejoindre la NBA ? «On me l’a souvent demandé. Je me disais : et toi, si tu étais sur le point de gagner 4,7 M$ (son salaire rookie), est-ce que tu partirais ? C’était l’opportunité d’une vie. Si un gamin quittait l’université pour lancer une start-up qui rapporterait 1 M$, personne ne serait choqué.»

 

Sur le terrain, déjà excellent

Sa passion majeure n’a pas encore été abordée… Le basket ! Troisième choix de la draft 2016, Jaylen Brown a livré une saison rookie prometteuse (6,6 points en 17 minutes) dans une équipe qui a terminé en tête à l’Est. Et comme sophomore, il a franchi un énorme palier. Il a conclu sa saison 2017-18 avec des moyennes de 14,5 points à 47%, dont 40% à trois-points, 5 rebonds et 1,6 passe en 31 minutes. Il est un ailier à tout très bien faire, avec des qualités athlétiques fabuleuses, un tir, un sens du jeu. Si l’équipe était bâtie autour de lui, il serait probablement capable dans un futur proche d’aligner des statistiques colossales. Mais ce n’est pas comme ça que les Celtics fonctionnent, ni que leur ailier voit le basket.

En playoffs, Boston devant composer sans Kyrie Irving, l’ailier assume encore plus de responsabilités. Contre Milwaukee, il est devenu le plus jeune joueur de la riche histoire des Celtics à atteindre la barre des 30 points en phase finale. C’est l’une des données les plus terrifiantes pour ses adversaires : son âge. Jaylen Brown est né le 24 octobre 1996. Quatre ans après le rookie de l’année 2017, Malcolm Brogdon, et la même année que les meilleurs débutants de la cuvée 2018, Ben Simmons et Donovan Mitchell. «Je vais devenir meilleur», a-t-il déjà prévenu. Mais là n’est pas son seul but. «Il y a tellement de temps dans une journée. Tout le monde passe ses 24 heures de façon différente. J’ai simplement choisi de profiter de chaque seconde que j’ai.»

 

Extrait du numéro 19 de Basket Le Mag (Mai 2018)