Alors qu’il a fêté ses 18 ans en décembre, Sekou Doumbouya (2,05 m) est promis à la NBA depuis plusieurs années déjà. Qu’importe l’avenir, son parcours, de Conakry à Limoges, en passant par l’INSEP, Poitiers, la naturalisation, est déjà riche. C’est cette histoire que raconte aujourd’hui Benoist Burguet. Ce formateur réputé, qui dirige la section sportive de Condorcet, à Fleury-les-Aubrais, est celui qui a repéré Doumbouya et fut son premier entraîneur.

 

Un mardi après-midi de septembre 2012, j’étais dans un gymnase, j’allais dans la salle des gardiens chercher les clefs pour mon entraînement des benjamins de Fleury-les-Aubrais. Le bâtiment comprend aussi la piscine municipale, et j’ai vu deux gamins, mes deux petits meneurs de jeu, sortir dans le couloir, et avec eux un grand, qui est sorti en courant. Il faisait deux têtes de plus que les autres. J’ai demandé à mes meneurs : «C’est qui ?» Ils m’ont répondu : «Sekou !» «Et il est dans votre classe ?» Bon, j’ai cette déformation professionnelle, à chaque fois que je vois un gamin qui est grand, de demander son âge. Quand on se promène en courses avec ma femme et que je vois un grand, je lui cours après dans les rayons pour lui demander son âge. Quand je suis en voiture, je m’arrête pour demander. Ma femme me dit : «Arrête, laisse-les ces gamins, j’ai honte !» (Il rit) Avec Sekou, je me suis dit qu’il devait avoir redoublé deux fois, qu’il était présu (sa date de naissance était fausse, ndlr). Je l’ai interrogé sur son âge, il m’a répondu qu’il était né en 2000. Je lui ai demandé son carnet de correspondance pour vérifier, et j’ai appelé sa maman pour savoir si Sekou pouvait venir à l’entraînement le soir-même. Elle a bien voulu, Sekou est venu le soir, je lui ai donné maillot, short, et là je l’ai vu tirer main droite, main gauche. «Tu as déjà joué au basket ?» «Non Monsieur, juste à l’école, dans la cour.» La maman était toute seule à gérer cinq enfants, la situation était fragile, je lui ai expliqué que je dirigeais une section sportive à Condorcet et que je pouvais m’occuper de Sekou, sur un double-projet scolaire et sportif, qu’il était fait pour ça. Et l’histoire a commencé comme ça.

Ci-dessus, Benoist Burguet et Sekou Doumbouya 

Un phénomène en benjamin

Dès le début, en benjamin, j’ai dit : «Ce gamin sera drafté et va jouer en NBA». Des jeunes qui cassent tout en benjamin mais qui disparaissent ensuite, on en a vus beaucoup, mais Sekou, non seulement il dominait physiquement, mais il était tout fin, c’était un bébé, poupon, et niveau basket, il savait faire plein de choses, des reverses… Il avait une agilité que je n’avais jamais vue à cet âge. Je peux le dire maintenant, des années plus tard, mais parfois, à l’entraînement, j’avais envie de l’applaudir ! J’étais en admiration, de sa gestuelle, sa technique. Il faisait 1,84 m, il avait de bonnes mains, il montait la balle. Un jour, il s’est blessé à la main droite et il a mis 40 points de la main gauche. C’est devenu au fur et à mesure le patron de l’équipe. Il assimilait très vite ce qu’on lui demandait, et il faisait répéter les mouvements aux autres avant les entraînements, il leur expliquait. En benjamin, c’est rare ! Et puis il s’entraînait cinq fois par semaine, plus parfois avec les minimes, plus le match, plus les sélections le dimanche matin… En benjamin, il s’entraînait déjà comme un pro.

C’était un phénomène, et à chaque match, tous les gens du coin venaient pour le voir jouer. Il a commencé en début de saison, et juste avant Noël, il a dunké à une main à un échauffement. En benjamin, ça fait drôle… Et après, smash arrière, à une main, etc. On l’a surclassé en minime France, avec le coach Lamine Kébé (aujourd’hui sélectionneur U17). Sekou a eu la chance de tomber sur une filière de formation avec des gens connaissant le haut niveau. Il a gravi les échelons, les sélections, Fleury-les-Aubrais a été champion de France minime, et il a intégré l’INSEP avec un an d’avance.

Lors de son passage à Poitiers, en Pro B, entre 2016 et 2018.

 Harcelé par les agents

C’était une pépite, et tout le monde voulait se l’arracher. Tout le monde veut mettre le grappin sur un tel jeune, c’est terrible. Il a été harcelé de coups de téléphone. Quarante appels par week-end, des agents qui proposent de l’argent à la mère, etc. Mais sa mère a toujours répondu : «Pour le basket, il faut appeler Benoist, moi je n’y connais rien». Je me suis beaucoup occupé de lui, de la famille. Pas parce qu’il était plus fort, j’aurais fait pareil avec n’importe quel autre gamin. Aujourd’hui, quand sa maman me présente, elle dit : «C’est le sorcier blanc !» (Il rit) Des agents m’ont appelé de partout. Plusieurs fois, Sekou a été harcelé d’appels toute une nuit, d’agents, d’universités américaines. Comme la famille venait de Guinée, ils allaient pratiquement être expulsés à un moment. On a fait ce qu’il fallait, avec l’école, les mairies d’Orléans, Fleury-les-Aubrais, pour laisser la famille sur place, dans un appartement, trouver du travail à la maman, etc. On a aussi passé beaucoup d’heures sur le dossier de naturalisation. J’ai une pile de quatre-vingt centimètres de dossiers ! La fédération a aussi beaucoup appuyé et  a fait un gros travail de protection. Ce qui a fait que le projet était viable, c’est que la maman a toujours été là. Dans les cités, on sait que ça peut vite partir en vrille, mais là, malgré les difficultés, la maman était présente, les petits ne trainaient pas, étaient très bien éduqués.

Avec Sekou, j’ai aussi joué les Pères Fouettard, je l’ai poussé pour travailler également à l’école. Il a fait des conneries. Mais des conneries de gamin ! Beaucoup de gens ont oublié que c’était un gamin. Quand j’ai appris que l’INSEP ne le gardait pas, je me suis dit que c’était terrible. Mais il faut replacer les choses dans leur contexte. Il est allé là-bas avec un an d’avance, donc il n’était pas avec les autres en classe, il était le seul basketteur à suivre des cours particuliers du CNED. L’INSEP était idéal pour plein de choses, notamment le basket, mais Sekou restait un gamin entre guillemets laissé à lui-même dans sa chambre. Je me revois l’amener avec sa maman, quand il tirait sa valise… C’était un bébé ! L’INSEP a été un coup d’arrêt, mais au final, un mal pour un bien. Derrière, Poitiers s’est très bien occupé de lui, il avait un appartement en face de la salle pour que la famille vienne, il était en internat avec d’autres jeunes, etc. Parce que son problème, c’est qu’il a été trop bon trop jeune. On ne l’a toujours mis qu’avec des gens beaucoup plus vieux. J’avais peur de ça. Sekou est un gamin, mais depuis qu’il a 14-15 ans, ce n’est pas un gamin comme les autres. Pour lui avoir parlé récemment, il a pris de la maturité.

À seulement 18 ans, il tournait cette saison à 7,8 points, 3,3 rebonds et 8,5 d’évaluation en 19 minutes au Limoges CSP.

Un futur en NBA ?

Au niveau basket, je pensais qu’il deviendrait plus arrière, plus fluide, un peu comme Kevin Durant. Jeune, il était fin, il montait la balle, il prenait des tirs. Là, il a pris du physique, du volume, c’est un poste 3 pour les États-Unis mais qui tire sur le poste 4 en France. Et on a l’impression que tellement il ne veut pas mal faire qu’il rend la balle à chaque fois. Parfois, il prend zéro tir. Avant, il était électron-libre, fou-fou, aujourd’hui il est beaucoup, beaucoup plus discipliné dans le jeu –  ce qui est bien aussi ! Il a des gestes de classe, une meilleure gestuelle de tir. Et comme je lui ai dit : «Je ne suis pas ton coach, c’est lui qu’il faut écouter».

Pour la suite, rien n’est acquis. Mais pour moi, il est sauvé. J’emploie ce mot : sauvé. J’espère qu’il sera drafté, qu’il jouera en NBA, etc., mais je me dis : «Au pire, on sait qu’il a le niveau pour la France, donc il fera carrière en Jeep Élite». C’est déjà exceptionnel de dire ça ! Je suis fier. De lui. Moi, le seul truc que j’ai fait, c’est d’aller chercher les clefs à la piscine et de le voir ! (Il rit) Mais c’était un destin. Il a été envoyé pour ça. Dès qu’on l’a mis dans une salle de basket, ça a été l’éclaircie de sa vie. Et puis c’est un gamin gentil. Une fois, il est rentré à Orléans, il est arrivé avec deux sacs plein de vêtements, des dotations de l’équipe de France, etc., et il a tout donné aux gamins qui étaient là. Tout. Cette image me restera toujours. Ça venait du cœur, parce que c’est un gamin. Sekou, c’est une histoire exceptionnelle. Il était peut-être proche de rentrer dans son pays, de ne pas être Français… Ce qui m’intéresse, ce n’est même pas l’après. La NBA, tout ça, machin, ça ne me parle pas. La plus belle histoire, elle est avant.”

Extrait du numéro 26 de Basket Le Mag (Janvier 2019)