Quelles sont l’image et la réputation de la Jeep Élite dans les rédactions des principaux médias nationaux, de TF1 à L’Équipe, en passant par France Télévisions, Canal, Le Monde ? Dix journalistes répondent, sans filtre.

 

Propos recueillis par Yann Casseville

 

Chaque mois depuis 2016, nous ouvrons les colonnes du magazine à ceux qui font le basket au quotidien. Les joueurs et joueuses, coaches, dirigeants, médias spécialisés…  Tous sont invités à partager leur vision du basket français. Cette fois-ci, nous avons choisi de sortir de cette sphère, en donnant la parole à ceux qui sont en dehors. Mais dont l’avis nous semble instructif. Le micro a été tendu à dix journalistes – qu’il soient ici tous remerciés de leur participation – représentent les plus grands médias généralistes et sportifs, de presse écrite (Le Monde, Le Journal du Dimanche, L’Équipe), radio (RMC) et télé (TF1, France Télévisions, Canal). Pour multiplier les angles, ont également été interrogés des spécialistes handball (beIN) et rugby (Midi-Olympique). Et enfin, un média basket, mais 100% NBA (TrashTalk). Ils ont été interviewés individuellement, et les résultats ont été croisés afin de créer une discussion.

Tout comme il est parfois bon de faire sa propre analyse face à un miroir, il est bénéfique de se soumettre par moments au regard des autres. En voici dix sur le basket français. Ils sont tour à tour affectifs, nostalgiques, sévères, définitifs. Ils sont toujours sincères et libres.

Le panel

Damien Burnier : journaliste sportif pour Le Journal Du Dimanche, il a commencé sa carrière à Basket-Hebdo.

Pierre Dorian : présentateur du Super Moscato Show sur RMC, où il anime également Basket Time.

Vincent Duluc : l’une des plumes du football à L’Équipe, où il avait postulé initialement pour rejoindre la rubrique basket.

Bastien Fontanieu : co-fondateur de TrashTalk, média basket spécialisé dans la NBA.

David Mallarme : journaliste au service des sports de France Télévisions, pour lequel il a couvert de nombreuses compétitions de basket.

Grégoire Margotton : journaliste football et handball sur TF1, il a débuté à Canal, notamment dans le basket.

Clément Martel : journaliste au service des sports du Monde, où il traite notamment le basket, le sport de ses racines béarnaises.

Emmanuel Massicard : rédacteur en chef de l’hebdomadaire rugby Midi-Olympique.

Pierre Ménès : consultant football pour Canal.

Thomas Villechaize : Monsieur handball sur beIN Sports, il a précédemment couvert le basket à France 3 Picardie.

 


 

LA MÉDIATISATION

Le basket français se plaint régulièrement de son manque de médiatisation. Qu’en pensez-vous ?

Vincent Duluc : Je regrette sa sous-exposition. C’est un sport qui a beaucoup perdu en visibilité et en traitement médiatique.

Clément Martel : Les clubs peuvent se plaindre de la sous-médiatisation par rapport au foot ou au rugby. Pour les autres sports, je ne crois pas que ce soit pire.

David Mallarme : Dans le hand, on ne parle jamais du championnat, si ce n’est du PSG, et encore, à la marge. Le volley, l’équipe de France a eu des résultats, un personnage comme Ngapeth, mais jamais on ne fait un sujet sur un club. Le foot a écrasé tout le reste, le rugby a réussi à prendre le virage. Sur Stade 2, on a souvent une majeure partie de l’émission foot, rugby, et le reste est partagé entre tous les autres.

Pour un média généraliste, il est difficile de «vendre» un sujet Jeep Élite ?

Clément Martel : Dijon, c’est génial ce qu’ils font. Le problème, c’est que la Leaders Cup, ce n’est pas vendeur.

Damien Burnier : Le champion de France, je ne peux pas rebondir là-dessus. Chalon en 2017, avec Jean-Denys Choulet, le franc-tireur du basket français, le coach qui bat ses joueurs à la muscu, tu as des prismes pour attirer une audience généraliste, mais c’est dur. Je ne sais plus qui avait dit : «On ne fait pas rêver avec Chalon». Moi, ça m’intéresse, mais ça n’intéressera pas autour.

Thomas Villechaize : Le basket reste un sport très ancré régionalement ou localement.

Vincent Duluc : Le problème du championnat, mais aussi sa force, ce qui fait sa base, c’est qu’il est un championnat de villes moyennes. C’est un championnat de PQR, donc il existe moins dans la presse nationale.

Grégoire Margotton : En Jeep Élite, combien de clubs représentent un grand bassin de population ? C’est important pour exister. J’ai beaucoup de respect pour Le Portel, Boulogne-sur-Mer, Monaco, mais on n’est pas dans des clubs représentant un bassin de population important.

Pierre Dorian : Si tu n’es pas du sérail, c’est difficile d’accès.

David Mallarme : Médiatiquement, le basket est devenu une niche. C’est aussi de la faute des instances, qui ont privilégié l’argent dans le choix des diffuseurs. Oui, tu prends beaucoup d’argent, mais tu t’enfermes. Aujourd’hui, un match est regardé par des fans absolus, qui seront toujours là. Mais il faut aller chercher plus large. J’ai l’impression que pendant un temps, on s’est contenté de rester dans notre petit monde du basket.

Bastien Fontanieu : Si tu demandes à des gens dans la rue sur quelle chaîne est diffusée le basket français, tu peux attendre longtemps avant d’en trouver un qui dise RMC. Pour le foot, les gens savent que c’est Canal, BeIn. Le basket, c’est confus.

C’est RMC Sport qui possédait les droits TV du basket français ces dernières saisons. Ici, Tony Parker et Stephen Brun.

Grégoire Margotton : David Cozette a fait beaucoup pour développer le basket français. Mais aujourd’hui, je n’ai plus accès à David, à Stephen Brun et tous les autres. Ce sont des passionnés, mais j’avoue que j’ai un peu décroché.

Vincent Duluc : La ligue a signé des mauvais contrats TV, elle a réfléchi parfois à gagner trois francs six sous alors qu’il aurait plutôt fallu réfléchir à l’exposition. Il faut des rendez-vous fixes, que tout le monde sache quel est le jour où il y a des matches. Depuis TPS, c’est n’importe quoi, ça fait vingt ans quasiment !

Grégoire Margotton : La négociation des droits va être un moment charnière. Qui va reprendre ? Ça aura une importance capitale. Le choix du diffuseur est le premier étage de la fusée.

 

LE MANQUE D’IDENTITÉ DU CHAMPIONNAT 

Qu’est-ce qui vous manque dans le championnat de France ?

Pierre Ménès : La base serait d’avoir un championnat où les meilleurs Français sont, et c’est loin d’être le cas. Il y en a une dizaine en NBA, et d’autres partout en Europe. Il faudrait que certains reviennent. Que Nando De Colo joue en France par exemple, ce serait super.

Vincent Duluc : C’est un truc de vieux con, mais c’est un sport qui a perdu son identité.

Grégoire Margotton : C’est peut-être un raisonnement de vieillard, mais j’ai l’impression qu’on a perdu le scénario. L’histoire que me racontait le basket français il y a vingt ans me paraissait plus proche du grand public qu’aujourd’hui. Peut-être parce qu’il était plus diffusé, plus «ADNisé» : on savait que c’était Pau-Orthez, Antibes, Limoges, Cholet. Peut-être qu’aujourd’hui, ça existe aussi, mais j’ai perdu de vue l’ADN du basket.

Vincent Duluc : J’aimerais que le championnat me raconte une histoire que je comprenne. La difficulté, c’est que le diffuseur a changé sans arrêt, la formule a changé sans arrêt, et les équipes changent sans arrêt pendant la saison. Tu ne sais plus où tu en es ! Pour qu’on se passionne pour un feuilleton, il faut qu’il soit incarné, et pour ça, qu’on s’attache à des personnages. Le fonctionnement même du basket français nous empêche de nous attacher. Les joueurs qui restent, c’est rare. Peacock à Bourg, c’est un miracle. Normalement, il prend 100 000 $ de plus en Turquie et on n’en entend plus parler.

Clément Martel : Si on fait un quizz «Qui joue où», beaucoup de personnes dans les clubs pourraient se faire avoir. Ça dessert profondément le championnat.

David Mallarme : Il y a des clubs qui prennent dix Américains dans l’année. C’est de la folie !

Vincent Duluc : On ne peut pas s’identifier, et ça veut dire que la politique sportive ne compte pas. Tu peux te tromper 26 fois, à la 27e tu peux sauver ta saison. Ça n’a pas de sens ! Même dans Football Manager, tu ne peux pas te tromper aussi souvent. Il faut que la politique sportive et la vision fassent la différence parfois. Là, tout le monde peut faire n’importe quoi puisque tout peut se rattraper en une semaine, tu peux couper un mec, en prendre un autre… C’est un effet désastreux.

Divine Myles (Roanne) face à Brandon Jefferson (Orléans). Comme un symbole des effectifs américanisés à l’excès et du manque d’identité des clubs français.

Clément Martel : J’ai l’impression qu’ils en ont conscience, ils sont en train de mettre en place un calendrier de transferts, comme dans les autres sports. Ça aidera à enlever cette impression de grand bazar.

Vincent Duluc : Ça, c’est bien ! Sans compter que les périodes de mercato, ça crée un intérêt feuilletonesque. Plus que trois jours, plus que deux, qui sera le gagnant… C’est un projecteur.

 

LA LOCOMOTIVE ASVEL

La France a réintégré l’Euroleague cette saison, après trois années d’absence et deux décennies de disette sur la scène continentale. C’est un pas important ?

Damien Burnier : C’est un premier pas. Mais les médias nationaux et les gens n’en parleront que si les représentants français s’illustrent. Quand l’ASVEL bat le CSKA Moscou, c’est super, mais c’est la 7e journée d’un long tunnel.

Thomas Villechaize : C’est ça le problème : exister sur la scène continentale. Le prix d’un joueur du CSKA est le prix de toute l’équipe de l’ASVEL, on ne peut même pas comparer.

Bastien Fontanieu : Le premier souci est financier. Tu ne peux pas vraiment lutter pour être champion d’Europe.

Vincent Duluc : Je ne vois pas comment le basket peut se développer s’il n’y a pas d’argent qui rentre. On est dans le capitalisme sportif. Neuf fois sur dix, les résultats sont liés à un investissement, donc la solution est d’avoir des entrepreneurs privés. Alors que là, j’ai l’impression qu’on est encore à mi-chemin entre le sport municipal des années 1970-80, quelques séquelles du sport de patronage, et quelques notables locaux qui tiennent leur club. L’avenir, c’est peut-être un Chinois, quelqu’un d’autre.

Damien Burnier : Là, on a des budgets à 10 M€. Il y a cinq ans, c’était déjà la Lune. Les mecs, ils bossent ! Mais pour en récolter les fruits, c’est un boulot de longue haleine.

Le retour de l’ASVEL en Euroleague a fait du bien. Ici, la joie d’Edwin Jackson et Livio Jean-Charles lors de la victoire face au CSKA Moscou.

David Mallarme : J’espère que Tony Parker va continuer à investir, que Paris aura enfin un gros club, que Strasbourg aura son arena. Les grands clubs, il n’y a que ça pour se développer. Si tu as de l’argent, tu vas pouvoir retenir tes joueurs, en attirer d’autres. C’est un cercle vertueux.

Bastien Fontanieu : Pour booster le championnat, il faut une Rolls Royce. Avec le PSG en foot, plein de gens se sont intéressés : «Waouh, un club français peut avoir des résultats européens».

Pierre Ménès : Si le foot français a vendu ses droits TV plus d’un milliard, c’est grâce au PSG, Neymar, Mbappé… Et on verra bien la gueule des investisseurs si les deux venaient à se barrer. Il faut des locomotives !

L’ASVEL peut-elle être cette locomotive ?

Pierre Ménès : Il se passe quelque chose avec ce club. L’économie du basket n’est pas extraordinaire mais un mec comme TP essaie de bouger les choses.

Vincent Duluc : La solution, c’est que des gens comme Jean-Michel Aulas à Lyon se rendent compte que pour être compétitif au basket, ça coûte beaucoup moins cher que pour se planter en foot – je ne parle pas de lui, il ne s’est pas planté en termes d’entreprenariat. Il donne 4 M€ à l’ASVEL, en mélangeant tout, c’est rien, c’est un orteil de Moussa Dembélé au prochain mercato ! Mais avec ça, il aide l’ASVEL à se développer.

Damien Burnier : Ce que l’OL donne à l’ASVEL, c’est énorme pour le basket, mais pour le foot, c’est le transfert d’un gamin de 18 ans, même pas ! Si tu arrives à entrer dans de grandes entités foot, peut-être que même en restant le petit frère, tu peux arriver à quelque chose.

Pierre Ménès : Il faut d’autres ASVEL. En foot, le PSG écrase la concurrence mais il y a quand même Lyon qui a du budget, Monaco, Nice qui va en avoir, Marseille qui se débrouille…

 

LA CACOPHONIE : COUPES D’EUROPE, FIBA, EUROLEAGUE

En plus de composer avec la NBA, le basket européen est scindé en deux, FIBA et Euroleague, et en quatre coupes d’Europe. Cela le rend difficile à expliquer pour le grand public ?

Pierre Dorian : L’éclatement des coupes d’Europe, c’est catastrophique. Catastrophique ! Pour quelqu’un qui n’est pas du basket, c’est impossible à comprendre.

Clément Martel : C’est d’autant plus compliqué quand tu as des équipes françaises qui participent à des coupes d’Europe différentes.

Pierre Dorian : Ça décrédibilise les clubs. C’est une question d’image. «Nous, on est en Eurocup.» «Nous, en Champions League.» Tu ne sais pas ce que c’est ! On ne sait pas comparer, quel est le niveau réel.

Emmanuel Massicard : Je suis un peu perdu. Ce n’est pas lisible.

Clément Martel : Et encore, on parle du championnat, on n’aborde même pas le trois-contre-trois.

Damien Burnier : Le basket est un sport qui marche à plusieurs vitesses, donc c’est plus difficile de le situer. Dans les autres sports, tu t’y retrouves plus facilement.

Pierre Dorian : Les fenêtres aussi, c’est catastrophique ! Je ne sais pas comment ils se démerdent mais un sport doit permettre aux meilleurs d’aller dans les équipes nationales. Sans manquer de respect aux joueurs, c’est le troisième niveau de compétition. Ça, ça fait très mal.

Damien Burnier : Ces fenêtres, à mon niveau, c’est invendable. Elles n’intéressent personne. Tu n’as pas tes stars, tes vitrines. Oui, c’est l’équipe de France, mais il est où, Gobert, il est où, Batum ? Si tes têtes de gondole sont dures à attraper, c’est difficile de t’identifier à elles.

 

L’IMPACT DE LA NBA

Dans le basket français, revient toujours la comparaison avec la NBA. Qu’est-ce qu’elle vous inspire ?

Thomas Villechaize : J’ai l’impression que ce n’est pas le même sport. À tout niveau : l’expérience basket, les maillots, les temps-morts… Même la manière dont c’est filmé.

Pierre Ménès : La différence de niveau est abyssale. Un peu comme si tu me demandais entre une compétition de kart ou de Formule 1.

Vincent Duluc : Ça dépend du niveau du basket européen. Quand tu aimes vraiment le basket, ce n’est pas difficile de préférer des matches d’Euroleague à des matches NBA. J’en ai vus beaucoup là-bas, en saison régulière, qui n’avaient aucun intérêt. C’est rarement le cas en Euroleague, où tu as des ambiances, des défenses.

Damien Burnier : Si tu mets un match de Jeep Élite avec des amis qui ne sont pas basket, après deux-trois shoots ratés ils vont tout de suite dire : «C’est pourri». Alors que quand la NBA vient à Paris, il y une forme de bienveillance dès le départ, on se dit que c’est la NBA, que c’est forcément super. Même si le match n’est pas dingo. Il y a des super matches en Jeep Élite. Celui de la Leaders Cup, Dijon-Monaco, c’était fou. Le problème, c’est que pas grand-monde ne l’a vu. Ce même match en NBA aurait fait plein de highlights.

Vincent Duluc : Le basket européen n’est pas un sous-modèle. Mais c’est un modèle sous-marketé.

Pierre Dorian : Je ne trouve pas que le basket français ait une image dévaluée, c’est juste qu’il souffre de la comparaison avec la NBA.

Damien Burnier : La NBA, pour le basket français, est à la fois une chance et un boulet. Un boulet car c’est un outil de ringardisation du basket français. Et c’est dur de changer ça. On reste sur cette image des salles un peu pourries, des maillots peinturlurés, alors que ça a beaucoup évolué. Mais comme médiatiquement, ça reste dans une niche, les idées reçues, les étiquettes sont dures à décoller. D’un autre côté, la NBA est une chance car quand les Français y réussissent, ils représentent le basket français.

Emmanuel Massicard : C’est un atout, c’est indéniable. Le niveau des basketteurs français a progressé, on l’a vu au travers des résultats de la sélection.

Clément Martel : La NBA est à la fois un phare – ça attire, je connais des personnes qui sont allés voir du basket français après avoir découvert la NBA – et quelque chose qui phagocyte. Que des jeunes Français partent de plus en plus tôt est très dommageable pour le championnat.

Damien Burnier : On a à peine le temps de faire des papiers sur Doumbouya qu’il est déjà parti. Ces jeunes t’échappent trop rapidement.

Bastien Fontanieu : Je peux comprendre ceux qui disent que la NBA écrase tout, mais je suis à 100% pour le travail qu’elle apporte au basket français. Tony Parker en NBA, ça donne envie à des Rudy Gobert, Evan Fournier, Frank Ntilikina de se mettre au basket. Et aujourd’hui, Tony investit dans le basket français. Même chose avec Nicolas Batum. La Hoops Factory, c’est un investissement d’Evan et Rudy. C’est génial ! Ces sommes-là viennent de la NBA. J’aimerais qu’il y ait un championnat de France suffisamment bon pour que donner envie aux jeunes sans avoir besoin de la NBA, mais je n’y crois pas à court terme.

Clément Martel : C’est de la science-fiction, les frontières ne sont pas fermées. Il ne faut pas se dire : «S’il n’y avait pas la NBA, notre vie serait super simple». Peut-être que le championnat de France serait plus exposé, mais il y aurait moins de personnes qui s’intéresseraient au basket de façon globale.

David Mallarme : Heureusement qu’on a la NBA pour parler du basket français ! Sinon, qui en parlerait ? Gobert, on en parle souvent dans Tout Le Sport. Les retombées sont là.

Difficile pour le basket français d’exister face à la puissance de la NBA. Ici, Giánnis Antetokoúnmpo (Milwaukee Bucks) lors du match face aux Charlotte Hornets à Paris.

Clément Martel :  Quand la NBA est venue en France, jamais les médias n’ont parlé autant de basket cette saison qu’à ce moment. On n’est pas sur la même planète, ce n’est pas de la concurrence de facto.

Pierre Dorian : Je ne pense pas que la NBA soit un obstacle. Eux, ils se mettent à part. Tu n’as aucun lien entre la NBA et le basket mondial. Les équipes nationales, ils s’en foutent. Ils se mettent d’eux-mêmes sur un piédestal, donc le reste peut exister à côté.

David Mallarme : Il ne faut pas opposer les deux, c’est la plus grosse connerie. On ne pourra jamais lutter. Mais on peut s’en servir comme modèle. Or à une époque, quand je discutais avec les présidents de club, le discours était souvent : «Ah non, il ne faut surtout pas la copier, ce n’est pas la même culture, eux c’est le show, machin, etc.»  Oui, mais ça marche !

Bastien Fontanieu : Il y a encore cette image de la NBA comme le gros vilain, alors que la NBA n’est pas sale ! Il faut réaliser le monde dans lequel on vit. Sinon tu es à la bourre, totalement à la bourre.

David Mallarme : Même si on n’a pas la même culture, qu’on ne sera jamais des Américains, autant s’en servir. Au bout d’un moment, il faut attirer des jeunes, sinon tu vas mourir avec ton public. Et ce qui les attire, c’est la NBA, pas les performances de Roanne ou Bourg-en-Bresse. Sur les playgrounds, les mecs ont des maillots NBA, pas de Limoges.

Grégoire Margotton : J’ai l’impression que les gamins qui kiffent le basket, à 90% c’est la NBA. De temps en temps, ils vont aller voir un match en France et se dire : «C’est pas mal». Mais ils en sont loin. La connexion est perdue, alors qu’il y a un appétit de basket des 10-25 ans qui est hallucinant, inédit.

 

LE DÉCORUM : IMAGES, SALLES, MAILLOTS…

Comment trouvez-vous l’emballage du basket français ?

Clément Martel : Quand tu regardes la Jeep Élite à la télé, la façon dont c’est sonorisé, c’est terrible ! Parfois, tu n’entends que le speaker. C’est peut-être les salles qui ne sont pas forcément conçues pour ça – à l’époque où elles ont été construites, tu n’avais pas besoin de ça. Le hand a le même problème.

Pierre Ménès : Il y a pas mal de salles qui ne sont pas terribles. Je ne m’explique pas qu’il n’y ait pas un club parisien qui joue à Bercy.

Pierre Dorian : Pour les championnats en Europe, pas que la Jeep Élite, il y a cette vanne de Vincent Moscato : «Tu as l’impression d’être dans un sport de préau». Moi, j’aime consommer – je dis volontairement consommer – la NBA parce qu’il y a des trucs qui me font kiffer. Le décorum est magnifique : les salles, les maillots, les caméras… Les maillots de Pro A sont dégueulasses ! Mais ils n’ont pas le choix, il faut qu’ils aient des sponsors.

Thomas Villechaize : Pendant des années, les maillots étaient un panneau publicitaire. Il y a eu une épuration pour rendre ça plus esthétique.

Clément Martel : J’ai adoré la réflexion iconographique qui a eu lieu sur les maillots, les logos. Tout n’est pas abouti, mais ça a progressé.

Norris Cole (Monaco) face à Axel Julien (Dijon) lors de la dernière Leaders Cup à Disneyland Paris.

David Mallarme : Ça ne va pas révolutionner, mais il faut s’inspirer de la NBA, c’est un vecteur pour médiatiser ta discipline.  Le rugby était un sport de clochers, Max Guazzini est arrivé, a fait jouer avec des maillots rose, a fait des feux d’artifices en début de match. Et on en a parlé.  Il n’y a pas que ça, mais ça participe. Les mi-temps des clubs français, les animations, sont les mêmes qu’il y a 40 ans !

Thomas Villechaize : Le All-Star Game français a fait énormément d’efforts pour créer un vrai show, une vraie expérience. Bourg aussi a beaucoup réfléchi à son approche des rencontres.

Damien Burnier : Bourg-en-Bresse, c’est le bon exemple. Des clubs en Europe viennent pour voir le dispositif, les jeux de lumière. J’imagine que les gens à Bourg viennent aussi pour ça, pour un show, ça les fidélise. Et si ça se répand, tu auras beaucoup d’endroits où il y aura une attraction locale, donc régionale, et ça peut devenir plus ancré sur le territoire.

 

L’ERREUR DE FERMER LA PORTE AUX MÉDIAS

Que pensez-vous du travail de communication effectué dans le basket français ?

Bastien Fontanieu : Il est mauvais, pas à jour, pas 2020. Il y a des essais, je vois le All-Star Game, des équipes qui font du bon boulot, l’ASVEL, Paris, mais globalement, il y a un manque de mise en avant des éléments qui font que le basket attire : des performances, des grandes actions, des déclarations…. Le club dont j’ai le plus entendu parler depuis un an, c’est le Paris Basket, parce qu’il y a un travail de communication et d’inclusion, avec une patte NBA, une façon d’événementialiser les choses, avec le Nouvel An Chinois, etc. Même si je ne m’intéresse pas, je suis au courant. C’est le seul exemple que j’ai. Le reste, c’est trop mineur. La façon dont le basket français est communiqué et vu est un peu old school. Pour moi, on est en 2002. Newsletter, un peu de réseaux sociaux, mais on n’y est pas trop. On n’a jamais eu autant de plateformes sociales et d’outils de communication. Pourquoi ils ne sont pas utilisés ? Sur Twitter, Instagram, Facebook ? Il n’y a pas besoin de grands moyens. «On va mettre des affiches.» Temps-mort ! Cet argent peut être mis dans un stagiaire de 18 piges qui bombarde les réseaux sociaux. Attention, il ne faut pas faire de la communication dans tous les sens, du trash. Mais il n’y a pas de mauvaise pub.

Damien Burnier : Pendant longtemps, Pau-Limoges dans L’Équipe, c’était une double-page, l’assurance d’avoir un peu de souffre, de pittoresque. Aujourd’hui, le décor est très policé, très sage, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Je ne dis pas qu’il faut que tout le monde s’insulte pour faire parler, mais mettre un peu de sel, dire ce qu’on pense. Que les personnalités émergent. Fred Forte arrivait à attirer des médias nationaux parce qu’il disait des trucs pas totalement convenus. À un moment, on parlait d’Ali Traoré parce qu’il se singularisait, il avait de la personnalité.

Estimez-vous qu’il est facile, en tant que journaliste, de travailler dans le basket français ?

Damien Burnier : Je suis peut-être mal tombé, je ne veux pas généraliser, mais parfois j’avais l’impression qu’on ne se donnait pas beaucoup de mal pour mes demandes.

David Mallarme : Quand tu arrives dans un club – pas partout –, tu as l’impression de déranger.

Damien Burnier : J’ai l’impression que certains clubs pensent que le journaliste est un ennemi, qui va leur apporter des problèmes. Mais à quelle échelle ? À l’échelle du basket français, ce serait une tempête dans un verre d’eau ! Quand les clubs ont un prospect NBA et qu’ils disent «Il faut le laisser tranquille», j’ai un peu de mal. Ça part d’un bon sentiment, mais ton joueur, dans six mois, ne sera plus là. Ce n’est parce qu’il reçoit un journaliste pendant une demi-heure qu’il sera moins bon trois jours après.

David Mallarme : Je sais que les grands médias n’ont pas toujours été là, mais la ligue et la fédération n’ont pas toujours joué le jeu non plus. C’était : «Oui, mais vous allez nous embêter pour avoir deux minutes. Oui, mais vous ne venez jamais nous voir…» Je leur disais : «On va toucher des millions de téléspectateurs. Donc ouvrez-nous les portes !» Il faut s’ouvrir au grand public. Le dernier carton d’audience du basket, c’est France-Lituanie, finale de l’Euro 2013, quasiment 7 millions sur France TV. Ça peut marcher le basket ! Mais il faut que tout le monde joue le jeu. J’ai beaucoup été en NBA, j’ai suivi Parker à San Antonio, Gobert à Salt Lake City, j’ai couvert des finales, et tu bosses plus facilement aux États-Unis qu’avec les clubs français. Est-ce que c’est normal ? Mais ça va mieux, franchement. La vision change depuis deux-trois ans.

David Michineau (Boulogne-Levallois) au shoot devant Théo Maledon (ASVEL)

 

LES CAS DU RUGBY ET DU HANDBALL

Le basket devait être le sport de l’an 2000. Le rugby l’a devancé. Comment ?

Emmanuel Massicard : Effectivement, le rugby a pris la place. Avec des résultats, de l’équipe de France, des clubs. Et l’exposition médiatique sur Canal. La réussite du rugby, c’est aussi d’avoir gardé son attache avec le terroir, le clocher, un territoire. Ce qu’avaient Limoges, Pau-Orthez, à une époque. Ça, c’est resté au rugby. On ne va pas simplement voir un match, on va aussi rencontrer des gens, faire la fête autour des stades. Le basket a moins ce côté proximité, festif. Et pendant quelques années, le Top 14 s’est développé autour de stars internationales : Dan Carter, Johnny Wilkinson… Comme si on faisait venir en France les meilleurs basketteurs américains. On a touché plus de public, mais on s’est aussi coupé de l’identité des clubs et de la culture locale. Et on a fait machine arrière.

Clément Martel : Le rugby a pris un virage il y a dix ans. Ceux qui avaient pâti du recrutement des stars, c’étaient les jeunes Français, il n’y avait plus de place pour eux. Donc le rugby s’est dit : «On remplit les stades, mais à terme, c’est toute la filière maison qui risque de souffrir». Et ils ont mis en place un système de joueurs formés localement.

Emmanuel Massicard : Depuis qu’on a les règlements de JIFF, joueurs issus des filières de formation, on a limité le nombre d’étrangers. Les clubs ont été obligés de donner leur chance aux jeunes. Certains ont aussi été confrontés à des difficultés économiques, à l’image de Toulouse, qui s’est reconstruit sur des jeunes formés au club. Et aujourd’hui, dans beaucoup de clubs, on retrouve plus de jeunes Français. Et ça devient une richesse pour les clubs. Les mutations de joueurs incluent un bonus pour la formation. Avant, c’était un boulet, et c’est devenu un atout, économique et d’image. Les gens s’identifient plus aux clubs.

Charles Ollivon, capitaine du XV de France, lors de la victoire des Bleus face à l’Angleterre durant le dernier Tournoi des Six Nations. (Crédit photo : Laurent Theillet)

Et pour le handball, d’où est parti sa progression ?

Thomas Villechaize : Il y a eu une prise de conscience il y a quelques années pour sortir de cette image de sport de hangar. On peut faire le parallèle avec le basket. La Jeep Élite doit s’inspirer de la NBA pour avancer, et le handball français a pris ce qui était le meilleur dans sa discipline, la Bundesliga allemande, et a su faire des efforts, moderniser des salles, faire sortir de terre des projets. Aussi une prise de pouvoirs des politiques sur l’ancrage local, pour faire des rapprochements entre clubs. Et beIN a énormément œuvré pour le développement du handball, à travers la diffusion de l’intégralité des rencontres. Je prends l’exemple d’un club moteur : Nantes. beIN verse quasiment trois fois moins au handball que SFR au basket. Pour Nantes, ce qui lui revient n’est même pas 2% du budget. Mais beIN offre quelque chose d’essentiel : l’exposition. Les partenaires privés savent que chaque semaine, où que joue l’équipe, elle sera visible sur une chaîne nationale.

Grégoire Margotton : Le hand, dans certaines villes, est devenu le premier sport. Il a de très bons joueurs qui restent en France. Et il n’a pas la NBA ! La NBA du hand, c’est l’Europe.

Thomas Villechaize : Et le handball de clubs a bénéficié des résultats extraordinaires de sa sélection. L’équipe de France est un moteur.

 

L’ÉQUIPE DE FRANCE

Les Bleus ont remporté le bronze à la Coupe du monde 2019, après avoir vaincu les États-Unis, mais cela n’a eu que peu d’impact. Pourquoi ?

Damien Burnier : Au foot, quand tu bats le Brésil, tu as une semaine pour revenir dessus. Au rugby, tu bats les Anglais, tu as le temps d’en reparler : pourquoi cette équipe marche, les secrets de la réussite, les axes du coach… Là, on n’a même pas pu les féliciter qu’ils étaient déjà battus par l’Argentine. L’opération n’a pas été neutre, mais trop courte pour créer de vraies retombées.

David Mallarme : France-USA, c’est tout le malheur du basket français. C’est l’un des plus grands exploits, médiatiquement, et c’est passé quasiment inaperçu.

Une sélection qui gagne fera-t-elle forcément briller le championnat ?

Vincent Duluc : C’est une illusion. On voudrait reproduire le modèle du foot. Au foot, les résultats de l’équipe de France impactent le reste de la discipline. Quand c’est Knysna comme quand tu es champion du monde. Mais pas dans les autres sports. Quand le hand est champion du monde à la maison, ils font 10 millions sur France 2, trois mois après il y a toujours 300 personnes à Metz. L’équipe de France féminine de foot a fait une audience fantastique à la Coupe du  monde, mais ça n’a pas déclenché quelque chose de nouveau pour la D1.

Pierre Dorian : Il faut sortir de ce fantasme. Le hand en est la preuve. Quand tu as vu l’équipe de France, je ne vois pas pourquoi derrière tu irais voir Ivry-Vitry. Ce n’est pas la même chose. En revanche, pendant quinze jours, tu as une fenêtre d’exposition.

Bastien Fontanieu : France-USA, c’est une fenêtre de tir médiatique. C’était le cas avec Thomas Heurtel contre l’Espagne. C’est important que l’équipe de France montre la voie. Je continue à dire que pour que le basket évolue en France, il nous faut notre juillet 1998 !

La victoire historique des Bleus d’Evan Fournier et de Rudy Gobert, face aux États-Unis, à la Coupe du monde 2019 est passé presque inaperçu.

L’AVENIR 

Comment voyez-vous le futur du basket français ?

Clément Martel : Je ne suis pas pessimiste du tout. Ça s’est structuré, il y a du bon travail fait pour adapter le sport à l’époque.

Pierre Dorian : Il y a beaucoup de points positifs. Les clubs sont rentables économiquement, des budgets augmentent.

Grégoire Margotton : Il y a beaucoup d’atouts ! Les salles sont remplies, c’est important. La Ligue a progressé dans sa commercialisation du produit. Le All-Star Game français il y a 20 ans, ça ne ressemblait pas à grand-chose, une sorte de copie mal faite de la NBA. Aujourd’hui, on est sorti de ça, c’est bien foutu.

Vincent Duluc : J’ai l’impression qu’il y a un frémissement. Depuis un an et demi, deux ans, on a un peu plus de Jeep Élite dans L’Équipe.

Damien Burnier : Il y a du positif. Le championnat de France est bien traité à la télé. Et sur le décorum, on voit des progrès, clairement. C’est une enveloppe, mais c’est important. Il faut semer des petits cailloux, régulièrement, à travers des résultats, clubs, équipe de France, et à force de semer, celui qui s’intéresse de loin au basket français ou qui veut s’y intéresser retrouvera son chemin.

 

Extrait du numéro 40 de Basket Le Mag (Mars 2020)