Star parmi les stars, l’Américaine Maya Moore (1,82 m, 30 ans) a mis sa carrière entre parenthèses depuis deux ans pour défendre un homme, initialement condamné à 50 ans de prison, et appeler à une réforme de la justice pénale.

 

Par Clément Pernin

 

Il faut déjà comprendre ce que représente Maya Moore. «La plus grande championne de l’histoire du basket féminin», dixit Sports Illustrated. Son palmarès force le respect. En NCAA, deux titres avec Connecticut. En huit saisons de WNBA, quatre titres avec Minnesota (2011, 2013, 2015 et 2017), six fois All-Star, MVP en 2014. En deux saisons d’Euroleague, deux sacres (Valence 2012 et Ekaterinbourg 2018). Avec Team USA, double-championne olympique (2012 et 2016), double-championne du monde (2010 et 2014). S’ajoutent bien des trophées nationaux (Espagne, Chine…) et des récompenses individuelles. Parmi ses surnoms, «La Reine invincible». Pourtant en 2018, à 28 ans, après avoir conquis l’Euroleague et raflé un nouveau trophée de MVP du All-Star Game WNBA, la Reine a décidé de quitter temporairement les parquets du basket pour s’attaquer au parquet juridique, dans un plaidoyer pour une réforme de la justice pénale. Et les mots du prestigieux Time sont formels : «Aucun basketteur de l’envergure de Moore n’a jamais volontairement pris un congé sabbatique, à son apogée, pour plaider en faveur d’une réforme sociale. Sa décision semble sans précédent dans les sports américains.»

Elle rencontre l’accusé en 2007

«Il y a des choses qui sont systématiquement mises en place qui enterrent les gens dans le système de justice pénale et ne le rendent pas rédempteur, ni réparateur», a estimé l’intéressée dans le New York Times. «Si les procureurs se concentrent uniquement sur l’obtention de condamnations pour construire leur CV, vous allez voir notre système judiciaire s’effondrer et des innocents derrière les barreaux.» Et elle a fait d’un cas, celui de Jonathan Irons, son plus grand combat.

14 janvier 1997. Un homme surprend un cambrioleur à son domicile. Après un échange de coups de feu, l’homme est blessé à la tête et le voleur en fuite. Une semaine plus tard, Irons, 16 ans, un Afro-Américain issu d’un milieu pauvre et sans éducation, présent dans le quartier le soir du méfait, est arrêté. Un policier assure qu’il a obtenu ses aveux, ce que l’accusé a toujours nié, disant avoir été au mauvais endroit au mauvais moment. Il n’y ni enregistrement dudit témoignage, ni témoin, ni trace ADN le reliant au crime. Au procès, l’inspecteur est absent, car malade. Et Irons condamné à 50 ans de prison.

Il s’en va purger sa peine au centre correctionnel de Jefferson City, dans le Missouri, la ville natale de Moore. Le parrain et la marraine de la joueuse, qui vivent toujours ici, prennent connaissance de l’histoire, constatent qu’Irons a été envoyé en prison sans preuve, et en parlent à leur filleule. Stupéfaite, elle rencontre l’homme pour la première fois en 2007, et se met à creuser l’affaire.

Rejouera-t-elle en 2021 ?

En 2018, fatiguée par des saisons à rallonge, elle décide de tirer un trait sur la campagne 2019, puis sur 2020 et les JO (à l’époque encore programmés en 2020), pour se consacrer à la défense d’Irons. Elle multiplie les rendez-vous, participe au paiement des honoraires d’un des meilleurs avocats du Missouri, et la demande de réouverture de l’affaire est acceptée. En octobre dernier, Irons a ainsi pu faire face à un contre-interrogatoire – qui n’avait pas été autorisé lors du procès initial –, de nouveaux témoins ont été entendus et il fut établi que les empreintes digitales retrouvées dans la maison n’étaient pas celles de l’accusé. En mars, la condamnation fut annulée.

Après 22 ans derrière les barreaux, Jonathan Irons n’est pas sorti d’affaire pour autant, puisqu’un procureur a fait appel de la décision. Pour Maya Moore, le combat continue. Quant au basket, elle a laissé ouverte la possibilité d’un retour en 2021, sans s’engager pour autant. «Je suis vraiment bien dans ma vie maintenant», disait-elle en janvier, avant le nouveau jugement. «Le basket n’a pas été au premier rang de mes préoccupations, j’ai pu me reposer et me connecter avec les gens autour de moi. Je me sens différente de celle que j’étais à 18 ans avant de m’impliquer dans l’histoire de Jonathan. Je suis plus humaine aujourd’hui.»

Extrait du numéro 41 de Basket Le Mag (Mai 2020)