Nikola Jokić (24 ans), ancien adolescent obèse, est l’un des joueurs les moins athlétiques de la NBA. Il est surtout le leader de Denver et un formidable basketteur. Un pivot de 2,13 m qui joue comme un meneur.

 

Longtemps, les Américains ont cru que Nikola Jokić était un taco, ce bon gros sandwich mexicain. Draft 2014. Au moment où la NBA va révéler le 41e choix, ESPN, diffuseur de la soirée, passe une publicité pour cette tortilla. Alors que la chaîne reprend l’antenne, la draft en est déjà à son 43e choix. En une phrase, sans image, les commentateurs indiquent qu’en 41e position, Denver a choisi Nikola Jokić. Ironie du sort que le timing de cette pub, tant la malbouffe a rythmé l’histoire du Serbe. Celui que Gregg Popovich, le coach de San Antonio, a résumé en une phrase : «Il est un peu grassouillet, ne saute pas haut, ne court pas vite, mais il est l’un des joueurs les plus intelligents de la ligue».

Sodas et glaces

Né à Sombor, petite ville située dans la province autonome de Voïvodine au nord de la Serbie , Nikola Jokić est d’abord un enfant en surpoids. «J’étais plus grand que les autres, et plus gros aussi», a-t-il raconté au Bleacher Report. «J’aimais les maths, l’histoire, mais pas les activités physiques. Au lycée, je ne pouvais pas faire une pompe.» Pourtant, lorsqu’il suit les traces de ses frères sur les parquets, il fait montre d’un sens du jeu certain. Aussi certain qu’il aime boire, du Coca-Cola, trois litres par jour – oui, trois litres –, et manger, se gaver à toute heure de böreks, des spécialités serbes riches en calories. Lorsqu’il rejoint la pépinière de talents de Mega, à Belgrade, à 17 ans, le staff l’interdit d’entraînements pendant deux semaines, tant sa condition physique est atroce. Verdict d’un des préparateurs physiques : «obèse». À l’époque, la balance affiche 135 kilos.

 

À mesure que sa masse graisseuse, l’intérieur s’améliore dans le jeu. De quoi être drafté en 2014 et devenir MVP de la Ligue Adriatique en 2015, avant de rejoindre Denver. Lorsqu’il débarque aux États-Unis, les Nuggets l’emmènent travailler son physique au centre spécialisé pour sportifs de Santa Barbara, en Californie. Pour son premier dîner avec le staff, Jokić sort un énorme pot de glace et demande aux dirigeants s’ils en veulent. Il ne s’émeut guère de leur refus. Au contraire, il en profite pour tout avaler. «Je me suis dit : il se fout de notre gueule !», s’est rappelé le GM, Artūras Karnišovas.

La franchise établit un programme spécial pour son rookie. Première étape, arrêter le Coca ! Deuxièmement, au lieu d’un régime fait de diminution, les médecins établissent un planning avec six ou sept repas quotidiens, mais remplis d’aliments bénéfiques à son corps.

Meilleur passeur que Curry et Rubio

Quatre ans ont passé. Aujourd’hui, le Serbe est annoncé à 113 kilos. Surtout, après s’être rapidement fait sa place à Denver, passant devant le Français Joffrey Lauvergne et le Bosnien Jusuf Nurkić, il n’a cessé de monter en puissance. Jusqu’à devenir le leader des Nuggets et paraphé un contrat de 148 M$ sur cinq ans l’été dernier. Le voici désormais numéro 1 de son équipe aux points (20,1), rebonds (10,8), passes (7,3), évaluation (26,4) ! Ses records en carrière dans chaque catégorie témoignent de la fabuleuse diversité de son arsenal. Dans un match, il est capable, tour à tour, d’inscrire 41 points, de réussir 6 trois-points, de capter 21 rebonds, de distribuer 17 passes, de signer 5 interceptions ou encore 5 contres.

Rappel : Jokić est un pivot de 2,13 m. Septième passeur de NBA, il devance dans ce classement des meneurs comme Stephen Curry, Kyrie Irving, Ricky Rubio… Dans l’histoire de la NBA, un seul pivot a fait mieux que ses 7,3 passes de moyenne : Wilt Chamberlain, avec 8,6. Mais c’était une autre époque, en 1967-68, et «L’échassier» passait 47 minutes sur les parquets, contre 31 pour «Le Joker». Sinon ces deux-là, aucun pivot n’a atteint ne serait-ce que la barre des 6 passes par match.

«Un Magic Johnson de 2,13 m»

À lui seul, le Serbe est un spectacle méritant de regarder la joyeuse troupe des Nuggets. Il peut aussi bien enfoncer son vis-à-vis, dos au cercle, avec sa technique balle en mains, ses feintes, que remonter la balle et distiller une merveille de passe, en l’air, à terre, à une main, à l’aveugle… Il dit être un meneur enfermé dans un corps de pivot. «Il me rappelle Magic Johnson», a commenté l’ancien meneur Isiah Thomas. «C’est un Magic Johnson de 2,13 m», s’est enflammé David Fizdale, le coach des Knicks.

Les modèles de Jokić durant son enfance : Tim Duncan, Dirk Nowitzki, Shaquille O’Neal, Boris Diaw. Savant mélange de fondamentaux, d’adresse, de force et de virtuosité. Parmi les précédentes générations, il adore aussi regarder Hakeem Olajuwon et Bill Walton. Ce dernier, interrogé par The Athletic, s’est lancé dans une tirade dithyrambique. «Le bonheur commence là où l’égoïsme s’arrête. Dans un jeu pris en otage par les dribbles sans fin pour soi-même, Jokić est une bouffée d’air frais. Le regarder jouer est comme regarder Bob Dylan composer une chanson. Il incarne le mantra que Coach Wooden nous répétait : le basket, comme la vie, n’est pas un jeu de taille et de force, mais de fondamentaux, de timing et de positionnement.» Ou, comme le dit Jokić lui-même : «Les seuls muscles dont vous avez besoin au basket sont ceux du cerveau».

 

Extrait du numéro 27 de Basket Le Mag (Février 2019)