Toutes les stars américaines ont déclaré forfait. Pour autant, les États-Unis, grâce à leur réservoir inépuisable, présentent toujours l’effectif le plus talentueux. Alors, prenables, vraiment ?

 

Par Yann Casseville

 

Comment gagner 1 € facilement ? Tutoriel. Approchez-vous, sourire aux lèvres, d’une personne qui dit apprécier la NBA mais la suivre de loin. Pariez 1 € qu’elle sera incapable de trouver un seul joueur représentant les États-Unis à la Coupe du monde. Écoutez-la citer LeBron James, Stephen Curry, James Harden, Kevin Durant, Kawhi Leonard, Kyrie Irving, Russell Westbrook, Anthony Davis… Gagnez 1 €. Fin du tutoriel. Ne cherchez pas, tous les grands noms du basket Made-in-USA ont décidé de ne pas aller en Chine. Ils sont devenus papas, ils tournent un film, ils ont mal aux pieds ou à la tête, ils doivent préparer leur nouvelle saison ou leur prochain repas : autant de raisons que de forfaits.

Plus que des forfaits, une humiliation

Au printemps, Team USA dévoilait une liste de 35 noms pour l’aventure Coupe du monde 2019-Jeux Olympiques 2020. «Nous savons qu’ils se sont tous engagés à représenter leur pays», clamait ensuite fièrement Jerry Colangelo, directeur d’USA Basketball. «J’apprécie l’engagement que les joueurs continuent à prendre et l’envie des nouveaux d’être impliqués», embrayait Gregg Popovich, le successeur de Mike Krzyzewski sur le banc, ajoutant : «Sélectionner douze joueurs va être extrêmement difficile». Depuis, parmi les 35 présélectionnés, 31 ont décliné l’invitation, laissant un quatuor de survivants : Kemba Walker, Khris Middleton, Harrison Barnes et Myles Turner. Rectifions la phrase de Popovich : trouver douze joueurs va être extrêmement difficile. Exagéré ? À peine. Même des seconds couteaux, comme Montrezl Harrell, 7e homme des Los Angeles Clippers, ou des rookies, comme Landry Shamet, 22 ans, 161e marqueur NBA pour ses débuts dans la ligue, ont dit merci, mais non merci. Un autre rookie, Marvin Bagley, a ajouté son nom tout en haut de la pile des refus comme une ultime humiliation envers Team USA : il a accepté de faire partie de la Select Team (les jeunes qui servent de partenaires d’entraînement à l’équipe américaine), disputé le camp de préparation de Las Vegas, fut tellement bon qu’il a été promu dans le groupe des présélectionnés pour le Mondial… et a alors décidé de quitter le groupe. Au total, USA Basketball a sérieusement considéré plus d’une cinquantaine de joueurs avant de parvenir à en réunir quinze. «C’est l’équipe F !», pourrait-on s’amuser à paraphraser Tony Parker.

«Pas de panique», disait Jerry Colangelo au début de l’été. À force de compter les mots d’excuse de joueurs expliquant vouloir se concentrer sur leur saison à venir, son discours a changé. Et le directeur d’USA Basketball de reconnaître, dans les colonnes de The Athletic, son impuissance. La faute à «un changement de culture» sur les dernières années, avec la NBA devenant plus que jamais toute-puissante, à coups de contrats dépassant allègrement la centaine de millions de dollars. La folie de l’intersaison, qui a vu nombre de superstars changer de franchise (Leonard, George, Durant, Irving, Davis…) et redessiner complètement le paysage de la ligue américaine, ouvrant à tous les possibles, a joué également. «Gagner en NBA est tout simplement plus important que gagner pour son pays», résume le Los Angeles Times. «Gagner une Coupe du monde n’a tout simplement que peu de cachet de ce côté-ci de l’Atlantique», appuie le New York Times, rappelant que «dans la culture du basket américain, ce tournoi est drastiquement pâle par rapport aux Jeux Olympiques». Les dirigeants d’USA Basketball sont également convaincus que le nouveau format mis en place par la FIBA, plaçant les JO l’année suivant la Coupe du monde, n’a pas aidé à promouvoir le Mondial comme un événement incontournable.

Les forfaits, pour partie, sont aussi la faute… des autres nations, incapables ces dernières années de proposer une réelle adversité aux Américains. Après avoir été vaincus en 2002, 2004 et 2006, les États-Unis ont retenu les leçons, créé le programme USA Basketball, appris les notions de collectif et de continuité, et n’ont plus perdu depuis 2006 avec leurs joueurs NBA. Champions olympiques 2008, 2012 et 2016, champions du monde 2010 et 2014, le tout en atomisant la concurrence. Lors de la dernière finale mondiale, en 2014, la Serbie fut mise KO en une mi-temps (41-67, et 92-129 in fine), et deux ans plus tard, en finale des JO, tendit l’autre joue de la même façon :  29-52 à la mi-temps, 66-96 au buzzer. Pas de quoi convaincre les superstars américaines que leur présence est indispensable pour la patrie !

Des joueurs méconnus, plus pour longtemps ?

Gregg Popovich a ainsi convoqué des joueurs de l’ombre comme P.J. Tucker (7,3 points à Houston) et Marcus Smart (8,9 points à Boston). Au final, Team USA ne peut compter que sur quatre membres du Top 50 des marqueurs, et avec deux All-Stars (Kemba Walker et Khris Middleton) et un seul joueur élu dans l’une des trois All-NBA Teams de la saison (Walker), présente sur le papier l’effectif le plus faible de son histoire depuis que les joueurs NBA disputent les compétitions internationales (voir encadré). Le groupe apparaît historiquement diminué à l’intérieur, avec peu de solutions de jeu au poste bas, et inexpérimenté. Mason Plumlee a disputé le Mondial 2014 et Harrison Barnes les JO 2016, mais tous deux étaient restés au bout du banc. À la Coupe du Monde 2010, la moyenne d’âge de Team USA s’arrêtait certes à 24 ans, mais l’équipe ne comportait pas moins de quatre futurs MVP de NBA (Kevin Durant, Stephen Curry, Derrick Rose et Russell Westbrook) ! Aussi prometteuses soient les jeunes pousses composant l’effectif de 2019, rien n’assure que celui-ci ait une telle densité de talents parmi les talents.

Voilà pour la colonne des réserves. Celle des arguments en faveur d’un nouveau sacre américain reste pour autant bien remplie. «On a la chance de pouvoir compter sur une telle profondeur de talents dans ce pays», a commenté Jerry Colangelo dans ESPN. «On trouve des joueurs qui veulent jouer et on part avec eux.» Aussi simple que ça. Là est l’argument principal – massue ? – de Team USA : son réservoir, comme un puits sans fond dans lequel il suffit à Gregg Popovich de lancer sa canne pour remonter immédiatement un gros poisson. «Parfois, les gens en Europe ne réalisent pas vraiment à quel point le réservoir de joueurs NBA est grand. Il y a beaucoup d’excellents joueurs, pas juste les cinq ou six premiers noms qui viennent en tête», a souligné Sergio Scariolo, le sélectionneur espagnol.

Par exemple, dans la hiérarchie des ailiers, Jaylen Brown, remplaçant pour sa troisième année NBA, à Boston (13 points et 4,2 rebonds en 26 minutes), n’appartient même pas au Top 5, forcément devancé au moins par Kevin Durant, Kawhi Leonard, LeBron James, Paul George, Jimmy Butler, et d’autres encore. Pour autant, Brown, 22 ans, a les qualités athlétiques pour faire subir à son vis-à-vis une pression défensive de tous les instants, ainsi que le talent pour rayonner offensivement par séquences au Mondial. Le constat vaut également pour des joueurs comme l’ailier Jayson Tatum (21 ans), son coéquipier aux Celtics, un immense talent, ou l’arrière Donovan Mitchell (23 ans), scoreur patenté. «Ils peuvent amener l’équipe D, leur roster est quand même incroyable», constate Andrew Albicy. «Même avec tous ces désistements, ça reste la meilleure équipe de la Coupe du monde, en tout cas sur le papier.» D’autant que la Coupe du monde, pour ces joueurs, est «l’opportunité d’une vie», comme l’a dit Kemba Walker : «Je pense que beaucoup d’entre nous sont content que tous ces gars aient déclaré forfait. C’est notre chance d’être sur la plus grande scène et de montrer notre talent. Tout le monde doute plus ou moins de nous mais nous avons les crocs.»

 

La touche Popovich

Qui de mieux que Gregg Popovich pour diriger une telle escouade ? Révélateur de talents à San Antonio depuis deux décennies, architecte d’un collectif jamais désuni, Popovich a tout de l’homme idéal pour savoir faire de lieutenants et de cols bleus une redoutable équipe. Et si le légendaire coach des Spurs a vécu la défaite américaine aux JO 2004 comme assistant, il est surtout connu comme l’entraîneur américain de NBA le plus ouvert au basket international. «Il n’y a pas un jour qui est passé dans l’année sans que je pense à USA Basketball», a-t-il confié à ESPN. Il s’est préparé, n’a rien laissé au hasard, étudiant l’historique de Team USA contre certains adversaires… jusqu’aux lieux où il pourra acheter de bonnes bouteilles de vin à Shanghai.

«Un coach comme Popovich est capable de préparer une armée qui va empêcher tout le monde de jouer», commente Vincent Collet. «J’ai assisté de visu aux dernières finales que les Américains ont gagnées. Ils ont écrasé la Serbie. Pas par leur attaque, mais avec leur défense. Les Serbes ne pouvaient pas jouer ! Les Américains étaient dans leurs lignes de passe. La Serbie, qui a le meilleur passing game au monde, n’arrivait pas à faire trois passes de suite. C’est la valeur défensive des Américains. Et même avec des joueurs de moindre renommée, ils sont peut-être capables de faire la même chose. Pour défendre fort et gagner tous les ballons, ils sont les maîtres.» Et invaincus depuis treize ans. Que l’équipe soit désignée A ou F, elle n’a pas bougé d’un iota son objectif : devenir la première nation à remporter la Coupe du monde trois fois de suite. «Les Américains, même avec l’absence des joueurs, jusqu’à preuve du contraire, dominent le monde», reprend Collet. «Donc tant qu’ils n’auront pas été battus, ça reste l’équipe numéro 1.»

Après 2002, 2004 et 2006, le moment est-il revenu de renverser l’ordre établi ? Peut-être que les multiples forfaits n’empêcheront pas Team USA de soulever le trophée, mais d’ici là, ils ont déjà modifié la matrice, laissant renaître chez les autres nations l’idée que la mission n’était pas impossible. Même les Américains en sont conscients, en témoigne cette déclaration de C.J. McCollum, l’arrière de Portland qui a refusé l’invitation de Team USA : «Je n’ai pas pensé aux autres quand j’ai pris ma décision, mais je pense que certains se sont demandé pourquoi ils iraient en Chine pour être le visage d’une équipe qui pourrait perdre».

Extrait du numéro 33 de Basket Le Mag (Septembre 2019)