À 41 ans, Vince Carter est le joueur le plus âgé de NBA. Sa longévité et sa capacité à s’élever encore dans les airs font du roi du dunk un cas unique dans l’histoire de la ligue.

 

Par Clément PERNIN

 

Les années passent, les oiseaux chantent, Vince Carter dunke. À défaut d’être le seigneur des anneaux, lui qui n’a pas enfilé de bague de champion, il demeure le roi des arceaux. Cet automne, après l’un de ses dunks, un peu appuyé, l’équipe technique a dû intervenir afin de refixer le cercle. Aux entraînements des Kings, loin des caméras, le vétéran fait le spectacle. «Il passe toujours le dunk entre les jambes. Il ne met pas sa tête au niveau du cercle, mais il peut encore le frapper. On voit toujours le cercle trembler quand il dunke», a témoigné son meneur rookie De’Aaron Fox dans le journal local, le Sacramento Bee. Rappel : Fox est né en décembre 1997. Six mois plus tard, Carter était drafté. Lui qui a vu le jour le 26 janvier 1977 à Daytona Beach, en Floride, pourrait aujourd’hui prétendre être le père de ses plus jeunes coéquipiers. Quand il a signé à Sacramento l’été dernier, le rookie Justin Jackson, né en 1995, a voulu mettre les formes à son message de bienvenue. «Il m’a appelé Monsieur Carter», s’est offusqué, amusé, l’intéressé. «Il n’arrêtait pas de m’appeler Monsieur. J’étais là : hey, arrête ça, c’est VC ou Vince, ou n’importe quoi.» En match aussi, Carter continue de défier les lois de l’apesanteur. Fin janvier, il a mis sur un poster Aaron Gordon, 22 ans, l’un des dunkeurs les plus spectaculaires du moment. Tout un symbole. Ses prouesses dans les airs, à 41 ans, font de lui un phénomène unique dans l’histoire de la NBA.

2000 : un concours de dunks d’anthologie

C’était il y a vingt ans. La draft 1998 a marqué la ligue. Pour le raté magistral des Clippers, qui sélectionnent Michael Olowokandi avec le premier choix, comme pour ses futures superstars : Dirk Nowitzki 9e, Paul Pierce 10e. Antawn Jamison et Vince Carter, au sortir de deux apparitions au Final Four NCAA sous le maillot de North Carolina, sont draftés respectivement 4e et 5e par Toronto et Golden State, qui s’échangent les désormais ex-coéquipiers. Ainsi Carter débarque chez les Raptors, franchise qui n’a que trois années d’existence et reste sur une saison catastrophique (16-66).

Pour ses envolées magistrales et sa créativité à très haute altitude, le rookie gagne immédiatement le cœur des fans, et pas seulement à Toronto. Pour la saison 1999-00, sa deuxième seulement en NBA, il gagne sa place de titulaire au All-Star Game en recevant le plus de voix des fans. Il recueillera encore le plus de suffrages en 2001, 2002 et 2004, devançant Allen Iverson, Kobe Bryant, Shaquille O’Neal… «Air Canada», «Vinsanity», les surnoms se multiplient. Le All-Star Game 2000 lui donnera le statut de super héros. Cette saison-là, le concours de dunks, absent en 1998 (la ligue trouvait qu’il s’essoufflait) et 1999 (lock-out oblige), fait son retour après deux ans d’absence. 360 avec moulin à vent, Rider d’exception, dunk avec le bras dans le cercle… Vince Carter ne se contente pas de s’octroyer le titre, il choque la planète basket. Quelques mois plus tard, aux JO de Sydney, avant de se parer d’or, il réussit en phase de poule le dunk le plus célèbre de l’histoire de ce sport : face à la France, il passe au-dessus des 218 centimètres de Frédéric Weis. «Je n’arrive toujours pas à croire que j’ai pu faire ça en match», commenta-t-il des années plus tard. «C’est quelque chose qu’on fait quand on est seul dans une salle.»

Quand sa cote de popularité était au summum, beaucoup estimaient que le dunkeur fou n’aurait qu’une courte carrière, qui serait forcément ralentie puis stoppée quand le temps ferait son ouvrage et le priverait peu à peu, inexorablement, de ses qualités athlétiques surhumaines. Aujourd’hui, dans sa vingtième saison NBA, avec près de 1 500 matches au compteur, Vince Carter vole toujours.

 

Son secret : la télé plutôt que les soirées

Résumer Carter au dunk fut la première erreur de ses détracteurs. Lui-même avait prévenu, ne souhaitant jamais défendre son titre au concours afin de ne pas passer pour une bête de foire. Il se classe septième de l’histoire de la ligue au nombre de paniers à trois-points inscrits. Il tourne à 37% en carrière, un pourcentage qu’il affichait déjà lors de sa saison rookie. Simplement, alors que le tir longue distance ne représentait que 18% de ses shoots lors de ses six années et demi à Toronto, il est devenu au fil des ans l’une de ses principales armes. Cette saison, plus de la moitié de ses tirs sont pris derrière l’arc.

Dans la deuxième partie de sa carrière, Carter a eu l’intelligence d’accepter un changement de statut, laissant les clés de l’attaque aux autres pour se muer en sixième homme. «J’ai dû mettre ma fierté de côté pour devenir joueur de rotation. Beaucoup de gars qui ont passé 14-15 ans dans la ligue pourraient encore jouer aujourd’hui. Mais ils ne pouvaient simplement pas accepter leur rôle», a-t-il estimé dans Yahoo. «Bien sûr, parfois j’aimerais plus toucher la balle et qu’on annonce des systèmes pour moi. J’ai ce vieux Vince qui est toujours en moi, mais dans les limites de mon nouveau rôle.»

Quand bien même ses qualités athlétiques seraient dons du ciel, il a su en prendre soin. «Je me sens béni d’avoir eu de bons gènes, mais je me fourvoie si je m’en contente. Je sais que je ne vais plus être le Vince de 2000, 2005, 2010, mais je peux en rester aussi proche que possible tant que je continue à faire le travail adéquat», a-t-il expliqué à GQ. Un jour de match, il arrive à la salle trois heures avant, pour s’étirer, shooter, prendre un bain de glace. Directement après la rencontre, il s’oblige à aller en salle de musculation et pendant vingt minutes effectue ses exercices, pousse 100 kilos sur le banc d’haltérophilie. Il fait attention à sa nutrition, ne boit pas de soda, a diminué sa consommation de friture, et continuer de garder en tête le conseil de sa mère : «Ne pas se coucher directement après avoir mangé et attendre au moins trente minutes». «J’étais un gars qui aimait sortir, aller écouter de la musique en boîte, et j’ai dû faire des sacrifices», dit-il, toujours dans GQ. «J’adorerais, mais je sais que je ne peux pas sortir, boire un verre et jouer le lendemain.» Certains soirs, il donne son accord à ses coéquipiers pour sortir avec eux. Le moment venu, dans sa chambre d’hôtel, la sagesse le rattrape. Il allume la télé et passe la soirée devant «New York, police judiciaire». Il s’autorise quelques rares plaisirs coupables, et encore : quand il commande un burger, il ne mange pas le pain ; quant aux cookies au chocolat, ses préférés, il se limite à trois.

 

 

Il vise une 21e saison

«Les gens demandent : pourquoi tu es toujours là ?», s’amuse-t-il dans son journal de bord sur le site The Undefeated. Sa réponse, toute simple : «J’aime toujours ce jeu et ce qu’il a à m’offrir». Partout où les Kings se déplacent, les fans immortalisent l’instant en se disant qu’ils voient peut-être le roi du dunk pour la dernière fois. Pourtant, Carter répète qu’il a la ferme intention de continuer le voyage en 2018-19 pour une dernière aventure. Arrêter, «ça me fait peur», a-t-il confié à Yahoo. «Je n’arrive pas à m’imaginer de l’autre côté. Je ne peux pas me retirer maintenant. Si une 21e saison est possible, le vieux gars sera toujours là.»

Pour chasser un titre ? Champion olympique en 2000 et champion des Amériques en 2003, Carter a disputé à onze reprises les playoffs NBA. Six éliminations au premier tour, une finale de conférence (avec Orlando en 2010), aucune finale. Zéro. La chasse à la bague n’a jamais été sa priorité absolue. L’été dernier encore, des rumeurs l’envoyaient pourtant à Golden State. «Il y avait l’opportunité, mais ils ne pouvaient pas égaler ce qui m’était offert à Sacramento. Je voulais jouer, pas m’asseoir sur le banc et en profiter. Ce n’était pas la bonne chose à faire. Peut-être l’année prochaine.»

Si les Kings perdent les deux-tiers de leurs matches, Carter gambade 17 minutes par match sur les parquets. Il affiche ses plus faibles statistiques en carrière (5,1 points et 2,1 rebonds) mais apporte expérience, adresse (40% de loin), et a encore de l’énergie dans ses jambes. Il a passé 24 points à Cleveland, 21 à San Antonio, 10 dans le dernier quart-temps contre Denver pour arracher la victoire. Il tient même le coup lors des back-to-back, capable d’enchaîner 27 minutes à Dallas et 24 à Houston le lendemain. Après avoir vaincu les airs, Vince Carter défie le temps.

Extrait du numéro 17 de Basket Le Mag (Mai 2018)